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CRITIQUES DE CONCERTS |
07 octobre 2024 |
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Nouvelle production du Trouvère de Verdi dans une mise en scène de Dmitri Tcherniakov et sous la direction de Marc Minkowski au Théâtre de la Monnaie, Bruxelles.
Le jeu avec le feu
Rien que le Trouvère, ses haines et passions ravivées en un huis clos implacable : voilà l’histoire que démêle Dmitri Tcherniakov, au-delà des apparences. Nul n’en sortira indemne. Ni les spectateurs, ni les chanteurs, poussés dans leurs derniers retranchements, jusqu’à épuisement de leurs ressources vocales. À la tête de l’Orchestre de la Monnaie, Marc Minkowski passe l’épreuve du feu verdien.
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Théâtre royal de la Monnaie, Bruxelles
Le 26/06/2012
Mehdi MAHDAVI
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Que s’est-il vraiment passé ? Eux-mêmes ne connaissent leur histoire que par bribes, celles qu’ils ont vécues. Seule Azucena détient la clé du secret, avec laquelle elle les enferme, symboliquement, dans ce luxueux appartement qui pourrait être viscontien. S’ils ont répondu à l’invitation, c’est qu’aucun d’eux n’est parvenu à vivre avec le poids du souvenir. Ils sont là pour faire sauter les verrous, rouvrir les plaies, raviver les haines et les passions.
Jeu dangereux, à l’issue inéluctable, mené par la Bohémienne qui n’a jamais craint certes – n’est-ce pas la raison même de leur présence ? – de jouer avec le feu. Pas plus que Dmitri Tcherniakov, qui manipule ses personnages au moins autant que les spectateurs de ce huis clos implacable – sur le plateau, ni comprimarii, dont les répliques sont distribuées aux protagonistes, ni chœurs, dont l’invisible compacité fait froid dans le dos.
Et le Trovatore ? Assurément moins qu’il n’y paraît – à l’instar de Macbeth ou Don Giovanni. Car dans le dédale d’invraisemblances du livret de Cammarano et Bardare, le metteur en scène russe tire le fil de la mémoire : les deux premiers actes ne sont que récits – de Ferrando, Leonora, Azucena. D’aucuns, toujours prompts à fustiger la moindre entorse à la lettre, qui plus est verdienne, n’y verront qu’un exercice de style, portée par une direction d’acteurs virtuose et sans répit.
C’est pourtant la nature intime des personnages qui est révélée – à eux comme à nous – dans sa plus insoutenable vérité. Luna en perd la raison. Du passé au présent, et par leur confusion même, tout bascule dès lors que par la violence, le Comte devient maître du jeu : « Nous jouons aux dés, mais bientôt c’est à un autre jeu que nous jouerons : cette épée dont on a lavé le sang à nouveau de sang sera baignée ! » Ferrando est sa première victime, tué à bout portant dans l’élan de Di quella pira.
Plus un geste, un regard qui ne colle absolument au texte – et lui confère un relief inouï –, c’est une spirale infernale, dans laquelle les chanteurs s’investissent jusqu’à l’épuisement de leurs ressources vocales. Pour la Leonora de Marina Poplavskaya, D’amor sull’ali rosee est une crucifixion, où l’opulence de ce timbre de velours ombré se heurte à une dynamique suicidaire. Où trouve-t-elle encore la force pour affronter le Miserere, et son redoutable duo avec le Comte ? Mystères de l’incarnation, qui relègue au rang des accessoires une orthodoxie encore emprunte de belcantisme.
Misha Didyk ne s’en soucie pas davantage, qui assène son Manrico sans nuance, mais pas tout fait sans ligne, ténor d’airain, inaltérable et magnétique. En Luna, Scott Hendricks est moins verdien encore qu’en Macbeth, et pourtant n’escamote rien, tient le souffle et le son, bien mieux qu’un simple acteur, aussi prodigieux soit-il.
La rigueur avec laquelle Sylvie Brunet-Grupposo chante Azucena dans pareil contexte ne l’est pas moins. À l’épreuve de Tcherniakov, l’aigu parfois paraît droit, et certains appuis du timbre contraints. Mais avec quelle intégrité la mezzo française couvre une tessiture souvent noyée sous la vulgarité, sans jamais sacrifier le métal à la flamme qui le porte à incandescence.
La rusticité de l’Orchestre symphonique de la Monnaie, et particulièrement de ses bois, n’est pas nécessairement la conséquence du retour à la lettre prôné par Marc Minkowski, toujours attaché à éclairer certains détails instrumentaux, au risque d’une lumière trop crue. Mais ce premier essai verdien frappe d’abord par l’énergie rythmique avec laquelle le chef français assume les fulgurances théâtrales d’une production qui laisse abasourdi.
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