|
|
CRITIQUES DE CONCERTS |
10 octobre 2024 |
|
Première au festival d’été de Baden-Baden 2012 du Boris Godounov de Moussorgski mis en scène par Graham Vick, sous la direction de Valery Gergiev.
Baden-Baden 2012 :
Boris dans la Russie d'aujourd'hui
Coproduction entre Baden-Baden et le Mariinski, le nouveau Boris transposé dans la Russie contemporaine par Graham Vick est un spectacle fort et dérangeant. Surtout, il est servi à la perfection par l’intensité d’un orchestre et de chœurs superlatifs, comme par la qualité d’une troupe unique, sous la direction d’un Valery Gergiev souverain comme jamais.
|
|
Wozzeck chez Big Brother
Géométrie de chambre
Respiration vitale
[ Tous les concerts ]
|
D’évidence, Graham Vick a joué la provocation lors de la première à Saint-Pétersbourg le 25 mai dernier de son nouveau Boris transposé dans l’univers social et politique de la Russie des années 2010. Violences policières, corruption, dégradation des mœurs parallèlement à une dévotion religieuse quasiment superstitieuse, pauvreté du peuple contrastant outrageusement avec l’étalage cynique et indécent des nouveaux riches de Moscou où tant de récents milliardaires ont le look de putes et de macs.
Un portrait sans concession et pertinent, nettement plus corrosif que toutes les relectures d’un Tcherniakov, mais qui peut friser l’inacceptable dans un théâtre subventionné par l’état avec cette production certes destinée à Baden-Baden, mais appartenant désormais au répertoire du Mariinski. Paradoxalement, qu’une production aussi tendancieuse ait pu être représentée prouve que la Russie intellectuelle a, malgré tout, la possibilité de s’exprimer.
L’étonnant décor à tiroirs sur plusieurs niveaux de Stuart Nunn, qui a aussi signé des costumes réalistes, permet de passer d’une scène à l’autre en modifiant à vue un aspect ou point précis du cadre. Lors de la toute première scène, on ne sait exactement où l’on se trouve dans la grisaille d’un terrain vague peuplé d’une foule ordinaire de ménagères à caddies et poussettes, ouvriers, étudiants, hommes d’affaires, terrassiers, élégantes en mini-jupe, surveillés à l’étage supérieur par la police.
La déclaration de Chtchelkalov est faite depuis une tribune devant les caméras de télévision, tandis qu’une procession à genoux brandissant des icônes invoque Dieu, également pour le petit écran. Au son des cloches, le décor se transforme, la lumière envahit la scène, un lustre de cristal descend des cintres, les rideaux tombent des murs laissant voir les grilles dorées du Kremlin et une galerie d’icônes somptueuses.
Boris, en complet noir, enfile le manteau de cour historique et jette des roubles à la foule qui l’acclame. Entre Moyen Âge et modernité, nous sommes bien dans la Russie éternelle. La scène de l’auberge affiche une hôtesse en tenancière aguichante inspectant ses pensionnaires avant de flirter avec Grigori qui finira par sauter par la fenêtre.
Les policiers, particulièrement brutaux, portent l’uniforme actuel des fonctionnaires russes et celui des forces spéciales qui matraquent sauvagement la foule devant Saint-Basile, laissant des corps sans vie sur le sol après la déploration de l’Innocent, junkie bohème à qui l’on a piqué son pétard.
Le dernier tableau a lieu dans une Douma réelle, toujours devant les caméras, et dans la scène finale, géniale, le Tsarévitch tremblant monte à la tribune et parvient à imposer le respect à toute l’assemblée, présageant un avenir optimiste pour la Russie avec une nouvelle génération. Nulle part la démocratie ne s’est acquise en un jour, elle s’imposera petit à petit, en Russie comme ailleurs, avec le temps.
Sous la direction d’un Valery Gergiev au sommet de son art dans un ouvrage dont il maîtrise tous les aspects mieux que personne, orchestre et chœurs offrent une interprétation magistrale de la version initiale de 1869 en sept tableaux. Dommage d’ailleurs que Baden-Baden ait imposé un entracte qui coupe la continuité dramatique.
Dans un registre plus traditionnel qu’Evgeni Nikitin, qui devait au départ chanter le rôle-titre comme à Saint-Pétersbourg, mais s’est retrouvé bloqué par ses engagements à Bayreuth, d’où il a été expulsé depuis dans les conditions que l’on sait, Nikolaï Putilin, dans une forme vocale étonnante, s’impose sans peine. Reste que son physique, son âge et sa corpulence rappellent étrangement Boris Eltsine, ce qui édulcore le propos par rapport à un Boris jeune et sportif.
L’ensemble de la distribution est par ailleurs irréprochable, mêlant les piliers de la troupe : Mikhaïl Kit (Pimène), Evgeni Akimov (Chouïski) ou Andrei Popov (sublime Innocent) et une nouvelle génération de voix exceptionnelles : superbe Chtchelkalov d’Alexei Markov, Grigori du jeune ténor Sergeï Semishkur, dont le rôle est hélas réduit dans cette version, ou le timbre cristallin de Xenia (Eleonora Vindau). Grande soirée d’opéra.
| | |
|
Festpielhaus, Baden-Baden Le 20/07/2012 Monique BARICHELLA |
| Première au festival d’été de Baden-Baden 2012 du Boris Godounov de Moussorgski mis en scène par Graham Vick, sous la direction de Valery Gergiev. | Modest Moussorgski (1839-1881)
Boris Godounov, opéra en sept tableaux (1874)
Livret du compositeur d'après Alexandre Pouchkine et Nicolas Karamzine
Version initiale de 1869
Chœurs et Orchestre du Théâtre Mariinski de Saint-Pétersbourg
direction : Valery Gergiev
mise en scène : Graham Vick
décors & costumes : Stuart Nunn
Ă©clairages : Giuseppe di Iorio
préparation des chœurs : Pavel Petrenko & Mikhaïl Smimov
Avec :
Nikolaï Putilin (Boris), Evgeni Akimov (Chouïski), Mikhaïl Kit (Pimène), Sergeï Semishkur (Grigori), Alexei Tanovitski (Varlaam), Nikolaï Gassiev (Missaïl), Alexei Markov (Chtchelkalov), Andrei Popov (l’Innocent), Olga Savova (l’Aubergiste), Ivan Kudyakov (Feodor), Eleonora Vindau (Xenia), Elena Vitman (la Nourrice), Oleg Sychov (Nikitich), Edem Umerov (Mitioukh), Vladimir Zhivopisiev (un boyard). | |
| |
| | |
|