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CRITIQUES DE CONCERTS |
08 février 2025 |
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Nouvelle production des Soldats de Zimmermann dans une mise en scène d’Alvis Hermanis et sous la direction d’Ingo Metzmacher au festival de Salzbourg 2012.
Salzbourg 2012 (9) :
L’Enfer sur terre
Gifle monumentale que cette nouvelle production des Soldats de Zimmermann, donnés pour la première fois à Salzbourg dans une mise en scène au vitriol sur la dégénérescence d’une société gangrenée par la guerre. Triomphe absolu pour Ingo Metzmacher et des Wiener d’une violence tétanisante, qui laisse sonné pendant de longues minutes.
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On sentait bien qu’un événement majeur se préparait à Salzbourg, craignant seulement que l’ombre de la mise en scène de Harry Kupfer à Stuttgart, l’un des spectacles les plus marquants des années 1980, plane par trop au-dessus de cette nouvelle production des Soldats.
Il n’en est rien, tant Alvis Hermanis sert avec maestria la dramaturgie savamment élaborée par Bernd Alois Zimmermann d’après Lenz, utilisant au mieux la symbolique du lieu choisi par le nouveau directeur de Salzbourg Alexander Pereira, le Manège des rochers.
Rarement son décor naturel d’arcades aura été aussi intimement lié au sujet, situé ici dans les écuries d’un régiment de cavaliers de la Grande Guerre, avec sur toute la largeur de scène une galerie où alternent ombres chinoises et authentiques séquences équestres.
Sur la musique traumatisante du prélude éclatent les meurtrissures psychologiques de la guerre, des blessés se tordant en convulsions sur des lits d’hôpitaux de fortune, image insoutenable que des martèlements de timbale forcenés rendent plus cauchemardesque encore.
Le travail scénique s’attarde sur la déchéance humaine d’un monde absurde, kafkaïen, où la guerre est devenue la préoccupation majeure, dans une régression de la libido, Marie comme objet de convoitise sexuelle face à un univers masculin aux pulsions animales, les militaires entassés tels des primates derrière les barreaux d’un zoo.
Dans cet univers avilissant où les femmes sont moins bien considérées que les chevaux, les mères sont au mieux castratrices – la Comtesse couveuse et son fils neuneu –, au pire incestueuses – l’Œdipe fort mal digéré de Stolzius semblant attendre la fessée dans son jeu de galipettes sur canapé avec maman.
Des clichés érotiques sur daguerréotype instillent un réel malaise, avant d’exhiber les ravages des maladies vénériennes quand Marie gagne son statut officiel de putain. Belle métaphore aussi de la jeune femme hésitant à se jeter dans le vide au moment de partir avec Desportes, un double de l’héroïne traverse la scène à une dizaine de mètres de hauteur, par-dessus la musique apocalyptique de l’Intermezzo du II.

Le foin bucolique où le couple se livre à une première sieste crapuleuse vire au glauque, jusqu’à devenir le fruit des entrailles de Marie, reliquat filandreux d’une fausse-couche préludant à la scène terrible des derniers outrages face aux cadavres d’officiers portant des masques à gaz et à une dernière image de calvaire qui nous hantera longtemps.
Une direction d’acteurs saisissante de réalisme, illustrant sans détour les affres du quotidien d’une garnison malsaine, fluidifie au mieux les changements de tableaux en utilisant la totalité de la largeur de scène de la Felsenreitschule, où s’immiscent sur les côtés des pupitres de percussion pléthoriques.
La musique, justement, qui ferait passer Elektra pour un opéra de salon, renforce la vision d’enfer scénique comme rarement, grâce à la battue hallucinante de violence, de mixtures implacables, d’un Ingo Metzmacher qui caressait depuis longtemps le rêve de monter le monumental opéra, lui que n’effraient en rien les dimensions du Saint François de Messiaen.
Transcendant sa lecture aveuglante, les Wiener Philharmoniker apparaissent sous leur jour le plus singulier, en déferlantes épuisantes d’acuité – quels souffleurs, notamment dans le suraigu des trompettes ! – et de terrorisme psychologique – les clusters assénés avec un tranchant lapidaire –, mais avec une finesse de textures inouïe, jusqu’à un ultime decrescendo qui laisse sans voix.
Pour cet ouvrage de tous les extrêmes, détenant sans doute la palme de l’inchantable, sorte de Wozzeck à la puissance dix, on tient là une distribution de choc, même si l’on se situe un rien en deçà du souvenir de Stuttgart – les aigus trop souvent en falsetto du Desportes de Daniel Brenna notamment.
De cette galerie de portraits dĂ©gĂ©nĂ©rĂ©s se dĂ©tachent la Marie parfaite de colorature capricieuse Ă la Lulu de Laura Aikin, le Wesener idĂ©alement dĂ©clamĂ© d’Alfred Muff, le Stolzius sombre mais Ă l’aigu Ă©clatant de Tomasz Konieczny et la Comtesse de la Roche de Gabriela Beňačková, Ă la pĂ©toire intacte, projetant ses aigus meurtriers comme d’autres font leur tricot.
Un spectacle comme on en voit une fois tous les tremblements de terre, digne de la légende de Salzbourg et que les caméras HD d’Unitel Classica sont par bonheur en train de mettre en boîte.
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Felsenreitschule, Salzburg Le 22/08/2012 Yannick MILLON |
 | Nouvelle production des Soldats de Zimmermann dans une mise en scène d’Alvis Hermanis et sous la direction d’Ingo Metzmacher au festival de Salzbourg 2012. | Bernd Alois Zimmermann (1918-1970)
Die Soldaten, opéra en quatre actes (1965)
Livret du compositeur d’après la pièce de Jakob Lenz
Wiener Philharmoniker
direction : Ingo Metzmacher
mise en scène & décors: Alvis Hermanis
costumes : Eva Dessecker
Ă©clairages : Gleb Filshtinsky
régie : Gudrun Hartmann
Avec :
Alfred Muff (Wesener), Laura Aikin (Marie), Tanja Ariane Baumgartner (Charlotte), Cornelia Kallisch (Weseners alte Mutter), Tomasz Konieczny (Stolzius), RenĂ©e Morloc (Stolzius’ Mutter), Gabriela Beňačková (Die Gräfin de la Roche), Matthias Klink (Der junge Graf), Daniel Brenna (Desportes), Wolfgang Ablinger-Sperrhacke (Pirzel), Boaz Daniel (Eisenhardt), Morgan Moody (Mary), MatjaĹľ Robavs (Haudy), Reinhard Mayr (Obrist), Andreas FrĂĽh, Paul Schweinester, Clemens Kerschbaumer (Drei junge Offizier), Beate Vollack (Andalusierin), Werner Friedl (Der Bediente). |  |
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