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CRITIQUES DE CONCERTS |
10 décembre 2024 |
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Version de concert de Renaud d’Antonio Sacchini sous la direction de Christophe Rousset à l’Opéra royal de Versailles.
L’homme providentiel
Alors que paraît chez Aparté leur enregistrement d’Hercule mourant de Dauvergne, les Talens Lyriques poursuivent l’exploration du répertoire de l’Académie royale de musique avec Renaud de Sacchini. Courtisé depuis 1775, avant même que n’éclate la querelle des Gluckistes et des Piccinnistes, l’Italien faisait à son arrivée à Paris figure d’homme providentiel.
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Si le départ de Gluck, à l’automne 1779, ne mit pas fin, loin s’en faut, à la querelle qui opposait ses partisans à ceux de Piccinni, il laissait vacante la place de rival du Napolitain. La direction de l’Académie royale de musique, qui passait d’Anne-Pierre-Jacques Devismes du Valgay à Antoine Dauvergne, redoubla dès lors d’efforts pour convaincre Sacchini, qu’elle avait vainement courtisé dès 1775, de quitter Londres pour Paris.
Quelle aubaine en vérité, pour un musicien acculé à l’exil par ses créanciers, que cet asile doré – dix milles livres par opéra ! Sans doute n’en fallait-il pas moins pour relancer l’intérêt du public pour le genre tragique qui, depuis l’Amadis de Gaule de Johann Christian Bach jusqu’au Thésée de Gossec, adaptés de Quinault à l’instar du Persée de Philidor – pour ne rien dire de l’Andromaque de Grétry, directement puisée à la source racinienne –, alternait échecs et demi-succès.
D’autant qu’en se voyant confier le livret de Renaud, sorti de la plume de l’abbé Pellegrin six décennies auparavant, et remodelé par Jean-Joseph Lebœuf, le compositeur italien avait plus d’un avantage sur ses prédécesseurs : éviter la comparaison avec la mise en musique de Desmarest, qui n’avait guère laissé de souvenir, et s’inscrire dans le sillage de Gluck, dont l’Armide imitée de Lully avait remporté un triomphe dès sa création en 1777.
Les partisans du Chevalier ne voyaient certes pas d’un très bon œil cette suite qui reprend l’histoire de la magicienne là où Quinault l’avait laissée, soit au chant XVII de la Jérusalem délivrée du Tasse. Et les répétitions eurent lieu dans l’habituelle atmosphère de cabale qui entourait chaque tentative de l’Académie royale de musique de s’assurer la collaboration d’un nouveau maître.
Mais la jalousie envers Piccinni était trop forte, et le succès de Renaud rallia au clan des Sacchinistes ceux que Grimm désigne dans sa Correspondance littéraire comme une « sorte de Gluckistes mitigés » – ce même Baron qui, défenseur des Italiens durant la querelle des Bouffons, et longtemps mitigé, remarquait non sans perfidie que Sacchini avait « gluckiné tant qu’il a[vait] pu. »
Ce premier essai démontre en fait une parfaite assimilation du modèle de la tragédie lyrique réformée en même temps que son appropriation grâce à une ligne assouplie, qui culmine au deuxième acte dans l’air Barbare amour ! Tyran des cœurs !, et un coloris orchestral anticipant la manière de Cherubini – celui des Deux journées davantage que de Médée – et même, aussi fugacement qu’il est possible, un certain Rossini.
Le geste pointilliste de Christophe Rousset, qui aime à sonder des harmonies plus immédiatement complexes, paraît peu stimulé d’abord par un néo-classicisme processionnel à la gloire de l’appareil scénique de l’Académie royale de musique, qu’il tend ainsi à étriquer. Mais à mesure que le drame gagne en intensité – sans rivaliser certes avec l’urgence du modèle absolu du genre qu’est l’Iphigénie en Tauride de Gluck –, les Talens Lyriques l’emportent avec cette célérité concentrée qui est leur signature.
L’édifice n’en repose pas moins tout entier sur les épaules d’Armide. Cybèle trop uniment agressive dans la peu concluante réduction pour quatre chanteurs et huit instruments d’Atys de Piccinni présentée aux Bouffes du Nord le mois dernier, Marie Kalinine laissait dès lors craindre le pire.
Toute aux sanglots, grimaces et raucités pseudo expressives d’une incarnation plus larmoyante que tragique, la mezzo française néglige une nouvelle fois de contrôler une émission dont l’instabilité brouille le timbre, la ligne et la déclamation. Alors même qu’un style plus policé lui permettrait de prendre pleinement possession d’un personnage auquel la destinent son tempérament autant qu’un instrument conquérant.
Français châtié et couleur idoine, Julien Dran chante Renaud sur des œufs et fait bien pâle figure face à Jean-Sébastien Bou, Hidraot noir et mordant. Tour à tour Adraste, Mégère, Arcas et Tissapherne, Pierrick Boisseau n’a guère plus de relief, malgré une diction irréprochable, tandis que du trio de confidentes se détache l’agilité lumineuse de Julie Fuchs, qui dans le conclusif et acrobatique Que l’éclat de la victoire fait des étincelles.
Bien que le cycle l’Opéra français au temps des Lumières coproduit par le Centre de musique baroque de Versailles et le Palazetto Bru Zane se poursuive dès le 13 novembre avec Thésée de François-Joseph Gossec, c’est l’annonce pour l’automne prochain d’une version de concert des Danaïdes, première tragédie lyrique de Salieri elle aussi confiée à Christophe Rousset, champion du protégé de Gluck depuis la recréation de La grotta di Trofonio, qui attise notre curiosité pour un répertoire trop longtemps demeuré dans l’ombre de son génial réformateur.
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Opéra Royal, Versailles Le 19/10/2012 Mehdi MAHDAVI |
| Version de concert de Renaud d’Antonio Sacchini sous la direction de Christophe Rousset à l’Opéra royal de Versailles. | Antonio Sacchini (1730-1786)
Renaud, tragédie lyrique en trois actes (1783)
Livret de Simon-Joseph Pellegrin d’après la Jérusalem délivrée du Tasse, revu par Jean-Joseph Lebœuf
Les Chantres du Centre de musique baroque de Versailles
Les Talens Lyriques
direction : Christophe Rousset
préparation des chœurs : Olivier Schneebeli
Avec :
Marie Kalinine (Armide), Julien Dran (Renaud), Jean-Sébastien Bou (Hidraot), Pierrick Boisseau (Adraste, Mégère, Arcas, Tissapherne), Julie Fuchs (Mélisse, une Choryphée), Katia Velletaz (Doris, une Choryphée), Jennifer Borghi (Iphise), Chantal Santon (Antiope), Cyrille Dubois (Tisiphone, un chevalier), Pascal Bourgeois (Alecton). | |
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