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CRITIQUES DE CONCERTS |
10 octobre 2024 |
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Création française du Son lointain de Schreker dans une mise en scène de Stéphane Braunschweig et sous la direction de Marko Letonja à l’Opéra du Rhin.
Un son revenu de loin
Un siècle tout rond, c’est le temps que la France aura dû patienter pour voir la création scénique du Son lointain de Franz Schreker, enfin réhabilité en ouverture de saison de l’Opéra du Rhin. Un ouvrage passionnant servi avec sobriété par Stéphane Braunschweig et porté sur des cimes expressives par la baguette de Marko Letonja.
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Banni par les purges du IIIe Reich contre la musique prétendument dégénérée, Franz Schreker n’a jamais obtenu réparation d’une mise à l’index lui ayant coûté jusqu’à la vie, et même outre-Rhin, les ouvrages lyriques d’une superbe qualité de ce maître des derniers feux du postromantisme restent marginaux.
Chez nous, la situation est bien pire encore, puisque c’est seulement à l’occasion du centenaire de sa création à Francfort le 18 août 1912 que Der ferne Klang, son opéra le plus célèbre avec les Stigmatisés et le Chercheur de trésor, connaît enfin sa création scénique, dans le cadre du quarantième anniversaire de l’Opéra du Rhin.
Rendons grâce au passage à la programmation audacieuse de Marc Clémeur, donnant à redécouvrir un livret d’une subtilité rare, l’histoire de Grete tout d’abord déterminée à attendre le retour de son fiancé compositeur parti en quête du son lointain, puis rejetée par lui dans le bordel vénitien où elle s’est échouée, enfin seule capable de lui faire entendre la musique recherchée lorsqu’il se ravise et comprend qu’il l’aime au moment de mourir.
D’une orchestration au raffinement inouï, l’œuvre nécessite avant tout une baguette experte. Marko Letonja, nouveau patron de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg, est de celles-ci, exaltant toute une richesse de couleurs, des plus franches aux plus ténues, des plus éclatantes aux plus impressionnistes.
Cet art du frémissement et des mixtures – les tourbillons hypnotiques du célesta et du piano, admirablement spatialisés –, doublé d’un réel sens dramatique, toujours à l’affût de la juste tension, fait mouche, surtout avec une formation aussi concentrée et soignée que l’est ce soir l’OPS.
On se s’émouvra donc guère d’un niveau sonore un peu élevé devant l’extrême maîtrise de l’arche de chaque acte – englobant idéalement jusqu’au long interlude du III –, d’autant que la distribution ne se laisse en rien impressionner par la profusion orchestrale.
Sans doute autant sous l’impulsion du metteur en scène que du chef, Helena Juntunen est une Grete velléitaire et capricieuse, à la vocalité aussi peste qu’enjôleuse, capable de ravissants piani comme d’éclats cinglants au vibrato très serré. Face à elle, le Fritz de Will Hartmann, souvent bien vert mais d’une qualité d’élocution irréprochable, n’en paraît que plus dans sa bulle d’artiste.
Et si la Vieille femme en lambeaux et à l’allemand ravagé de Livia Budai ne marquera pas les esprits, on notera dans la chanson sur les fleuristes de Sorrente du Chevalier la radiance du jeune Stanislas de Barbeyrac, étoile montante du chant français faisant resplendir un instrument très lumineux et un aigu déployé, mais aussi la Ballade du Comte de Geert Smits, au timbre légèrement gris mais à l’autorité et au registre supérieur impériaux.
Pour servir un ouvrage que tous découvraient en scène, Stéphane Braunschweig a joué la sobriété en privilégiant le climat sur la pénétration psychologique, avec une intéressante dimension de mise en abyme insinuant que l’acte central sur la lagune pourrait n’avoir été qu’un moment de théâtre dans le théâtre, les amants se quittant initialement devant un rideau de scène, l’auberge du livret transformée en maison d’opéra.
Forêt de quilles géantes, grève vénitienne rouge sang, la scénographie épurée devrait pouvoir facilement s’exporter. Qu’attendent alors les directeurs d’opéras hexagonaux pour emboîter le pas à l’Opéra du Rhin en programmant à leur tour cette très belle production dont on aimerait qu’elle signe enfin une vraie réhabilitation française de Schreker ?
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Opéra du Rhin, Strasbourg Le 30/10/2012 Yannick MILLON |
| Création française du Son lointain de Schreker dans une mise en scène de Stéphane Braunschweig et sous la direction de Marko Letonja à l’Opéra du Rhin. | Franz Schreker (1878-1934)
Der ferne Klang, opéra en trois actes (1912)
Livret du compositeur
Chœurs de l’Opéra national du Rhin
Orchestre philharmonique de Strasbourg
direction : Marko Letonja
mise en scène & décors : Stéphane Braunschweig
costumes : Thibault Vancraenenbroeck
Ă©clairages : Marion Hewlett
préparation des chœurs : Michel Capperon
Avec :
Helena Juntunen (Grete), Will Hartmann (Fritz), Martin Snell (Graumann), Teresa Erbe (Madame Graumann), Stephen Owen (Dr Vigelius), Stanislas de Barbeyrac (le Chevalier), Geert Smits (Le Comte), Livia Budai (une vieille femme), Patrick Bolleire (un aubergiste), Kristina Bitenc (Mizi), Marie Cubaynes (Milli), Sahara Sloan (Mary), Jean-Gabriel Saint-Martin (chant d’un baryton). | |
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