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CRITIQUES DE CONCERTS |
04 octobre 2024 |
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Nouvelle production de l’Empereur d’Atlantis d’Ullmann mise en scène par Richard Brunel et sous la direction de Jean-Michaël Lavoie à l’Opéra de Lyon.
Le droit de mourir
Saisissante plongĂ©e au cĹ“ur de l’enfer vĂ©cu par les musiciens du ghetto de TerezĂn que cet Empereur d’Atlantis de Viktor Ullmann proposĂ© par l’OpĂ©ra de Lyon dĂ©localisĂ© dans le Théâtre de la Croix-Rousse. Et partition bouleversante que cette parabole sur le droit de mourir, servie par une Ă©quipe solide sinon irrĂ©prochable.
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Lutte des classes
Petits bonheurs au purgatoire
Folle Ă©quipe
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Pris pour sa seule valeur poétique, le livret de l’Empereur d’Atlantis est déjà une étonnante parabole où la mort entrée en résistance saborde les projets délirants d’un empereur tyrannique et belliqueux, contraint in fine au sacrifice .
RapportĂ© au contexte dans lequel le jeune Peter Kien a mis au point cette histoire aux cĂ´tĂ©s du compositeur Viktor Ullmann, l’ouvrage devient le manifeste pour le droit Ă mourir des prisonniers de la vitrine de TerezĂn, saluĂ©e par la Croix-Rouge de l’époque comme une « ville modèle », en rĂ©alitĂ© savamment orchestrĂ©e par la propagande nazie.
On connaît mieux l’opéra pour enfants Brundibár de Hans Krása que ce Kaiser von Atlantis d’Ullmann, lequel devait comme tant de musiciens juifs finir gazé à Auschwitz en octobre 1944. On ne s’étonne par ailleurs guère que l’ouvrage, qui fut monté jusqu’à sa répétition générale, ait été frappé in extremis par la censure, tant y est criant le parallèle entre l’Empereur Overall et un certain Adolf Hitler.
Mais il ne faudrait pas y voir une provocation inutile. La rumeur avait déjà répandu à l’intérieur du ghetto qu’une fois passée l’inspection de la Croix-Rouge, il n’y aurait plus d’avenir autre que la mort pour ses occupants, et le choix du sujet de l’ultime opéra d’Ullmann ne résonne que comme un cri de désespoir à un moment où les dés étaient jetés.
Par chance, malgré le pilori, le compositeur eut le temps de confier son manuscrit à un ami qui réussit à le sauver, si bien que l’opéra put être créé en décembre 1975 à Amsterdam, et devenir un ouvrage clé sur la musique écrite dans le ghetto que les Allemands appelaient Theresienstadt.
L’opéra, d’un magnifique savoir-faire, pioche parmi les multiples influences du compositeur. Chez Schoenberg et Zemlinsky, ses professeurs à Vienne et Prague, mais aussi chez Mahler et Strauss – Arlequin se souvient du Tanzmeister d’Ariane à Naxos –, dans le jazz, le saxophone de Lulu et les musiques de cabaret. Enfin dans la tradition luthérienne, avec le choral Ein feste Burg ist unser Gott concluant cet opéra caméléon sur une portée mystique.
Richard Brunel a joué la sobriété et l’artisanat dans sa mise en scène qui cherche avant tout à ne pas appuyer les références, à évoquer discrètement plutôt qu’à asséner. Point de fosse d’orchestre : les quinze instrumentistes de la version originale se produisent sur scène, au milieu du jeu théâtral, réduit à sa substantifique moelle.
Une table d’état-major sera la seule scénographie, limitée à quelques accessoires, parmi lesquels une malheureuse servante dont la faible ampoule claquera sur le dernier accord. Des abominations commises au nom d’une idéologie nauséabonde, Brunel ne retient que fugacement le déshabillage de la Fille coiffée à la garçonne, et la présence d’un train électrique. C’est bien assez.
À la tête d’instrumentistes de l’Orchestre de l’Opéra de Lyon idéalement chambristes et précis dans les variations ironiques d’une partition en mosaïque, Jean-Michaël Lavoie joue lui aussi la sobriété, aiguisant les rythmes et les ruptures en prenant soin de tourner le dos au symphonisme et à l’emphase qui tueraient ce mélange des genres pour le moins délicat.
D’un plateau au final assez moyen, tant en ce qui concerne une diction allemande problématique en termes de crédibilité qu’au niveau d’émissions vocales manquant de naturel – l’Empereur, la Mort, le Haut-Parleur –, on retiendra surtout les nasalités discrètes de l’Arlequin de Rui Dos Santos, traduisant en permanence un désespoir sous-jacent.
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