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CRITIQUES DE CONCERTS 13 octobre 2024

Nouvelle production de Don Giovanni de Mozart dans une mise en scène de Jean-Yves Ruf et sous la direction de Gérard Korsten à l’Opéra de Dijon.

Pique-nique au cimetière

Un orchestre star dans la fosse, un homme de théâtre pédagogue à la mise en scène et une distribution de jeunes chanteurs menés par le baryton français qui monte, le nouveau Don Giovanni de l’Opéra de Dijon mise sur un de ces alléchants cocktails d’expérience et de fraîcheur dont son directeur Laurent Joyeux a le secret. Sans emporter l’adhésion.
 

Auditorium, Dijon
Le 22/03/2013
Mehdi MAHDAVI
 



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  • Dans ses propos recueillis pour le programme plus encore que dans sa note d’intention, Jean-Yves Ruf expose sur Don Giovanni – mythe et opĂ©ra confondus – des idĂ©es sinon neuves, du moins pertinentes et Ă©tayĂ©es. Mais expliquer ses choix est une chose, leur faire passer l’épreuve du plateau en est une autre – le Così fan tutte selon Marcial di Fonzo Bo prĂ©sentĂ© la saison passĂ©e Ă  l’Auditorium de Dijon souffrait d’ailleurs du mĂŞme dĂ©faut, qui le condamnait Ă  un certain hermĂ©tisme dramaturgique.

    Quoi de mieux qu’un dĂ©cor unique pour rĂ©soudre l’invraisemblable succession de lieux du livret de Da Ponte ? Pourtant, ce no man’s land entre chien et loup, « pente herbeuse […] propice aux rencontres hasardeuses Â», le metteur en scène ne parvient pas Ă  le tourner Ă  son avantage : pas assez rĂ©aliste pour que l’action soit crĂ©dible – celle du I plus que celle du II, dont la chasse Ă  l’homme s’en accommoderait si Christian Dubet l’éclairait avec davantage d’imagination –, mais insuffisamment mĂ©taphorique pour faire sens sur la distance, et au-delĂ  de quelques Ă©vidences.

    Et bien qu’il pointe « le risque de tomber dans la simple tradition de la comĂ©die Â», en l’occurrence « encore plus vieille que l’invention du tournebroche Â» – ainsi qu’elle est dĂ©signĂ©e dans le prologue du Convitato di pietra de Bertati, principale source de Da Ponte –, son Don Giovanni nomade dans une sociĂ©tĂ© sĂ©dentaire, ce dĂ©saxĂ© peut-ĂŞtre clandestin qui, de la transgression Ă  la peur de l’autre, renvoie ses semblables Ă  leurs dĂ©mons, demeure prisonnier des conventions théâtrales. Au point qu’il est difficile de ne pas se demander si Ruf est un mauvais directeur d’acteurs – Ă  moins que les aptitudes scĂ©niques limitĂ©es des chanteurs le fassent passer pour tel…

    À commencer par le rôle-titre, dont la belle gueule hollywoodienne ne compense pas un jeu dont la maladresse gesticulante vire au Grand-Guignol dans la scène du souper – un pique-nique en vérité –, que la basse vacillante du Commandeur sans impact physique ni sonore de Timo Riihonen achève de réduire à néant. D’autant que la somptuosité du timbre d’Edwin Crossley-Mercer conforte son chant dans un narcissisme nonchalant qui prive la ligne de ressort, notamment dans une sérénade allégée au prix d’une intonation fluctuante.

    Ténor fluet mais délié, Michael Smallwood est, comme tant d’autres avant lui, un Ottavio emprunté dans son costume mal coupé, tandis que la Donna Anna désespérément cruche de Diana Higbee, dont on a pu constater une fois le rideau tombé que la grossesse n’était pas due à une mauvaise idée de Regietheater, s’effondre dès Or sai chi l’onore, soprano à l’aigu aigrelet et à l’agilité forcée, à peine une Zerlina en somme.

    Camille Poul y fait du reste belle impression, fluide et pimpante à défaut de conférer à la paysanne la touche d’ambigüité qui est l’avantage des voix plus sombres et charnues. Toujours flanquée de sa femme de chambre – celle-là même sur qui son époux a des vues –, Donna Elvira bénéficie de l’étoffe veloutée et de la noble stature de Ruxandra Donose. Mais même délestée des écarts de Mi tradi par la volonté du metteur en scène de s’en tenir à la version de Prague, la tessiture s’avère un peu haute pour la mezzo roumaine, qui dans un récent Farnace de Vivaldi s’épanouissait sereinement dans un rôle habituellement dévolu aux contraltos.

    À l’instar de David Bižíc, mais avec un surcroît de distinction dont ne peut se targuer son prédécesseur à l’Atelier Lyrique de l’Opéra de Paris, Damien Pass mûrit en Masetto le formidable Leporello qu’il sera certainement bientôt. Josef Wagner est en tout cas l’un des meilleurs du moment, qui grâce à sa verve terrienne et un timbre qui, s’il ne déborde pas de couleurs, frappe par la netteté de ses contours, domine aisément le plateau.

    C’est toutefois dans la fosse qu’aurait dĂ» se trouver la star de cette production. Non pas le chef, mais les musiciens du Chamber Orchestra of Europe, formation d’élite choisie par Claudio Abbado pour graver Don Giovanni en 1997. Assez virtuose pour ne pas le laisser paraĂ®tre, le « meilleur orchestre de chambre du monde Â» selon BBC Two Television, n’en est pas moins piĂ©gĂ© que d’autres par l’acoustique Ă  double tranchant de l’Auditorium de Dijon, qui amplifie autant qu’elle dilue, et ne s’élève jamais au-dessus d’un son clair et lisse.

    Du fait peut-ĂŞtre de sa position de primus inter pares face Ă  une phalange dont il fut le Konzertmeister durant près de dix ans, la direction de GĂ©rard Korsten n’impose rien et n’est que rarement traversĂ©e d’éclairs de vivacitĂ©. C’est trop peu pour tendre l’arc dramatique, et surtout adhĂ©rer Ă  ce « temps syncopĂ©, qui semble fuir en avant, un temps de l’irrĂ©mĂ©diable Â» revendiquĂ© par le metteur en scène.




    Auditorium, Dijon
    Le 22/03/2013
    Mehdi MAHDAVI

    Nouvelle production de Don Giovanni de Mozart dans une mise en scène de Jean-Yves Ruf et sous la direction de Gérard Korsten à l’Opéra de Dijon.
    Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
    Il dissoluto punito ossia il Don Giovanni, dramma giocoso en deux actes (1787)
    Livret de Lorenzo da Ponte.

    Chœur de l’Opéra de Dijon
    Chamber Orchestra of Europe
    direction : GĂ©rard Korsten
    mise en scène : Jean-Yves Ruf
    scénographie : Laure Pichat
    costumes : Claudia Jenatsch
    Ă©clairages : Christian Dubet
    chorégraphie : Caroline Marcadé

    Avec :
    Edwin Crossley-Mercer (Don Giovanni), Timo Riihonen (Il Commentadore), Diana Higbee (Donna Anna), Michael Smallwood (Don Ottavio), Ruxandra Donose (Donna Elvira), Josef Wagner (Leporello), Damien Pass (Masetto), Camille Poul (Zerlina).

     


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