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CRITIQUES DE CONCERTS 20 avril 2024

Reprise de Pelléas et Mélisande de Debussy dans la mise en scène de Pierre Audi et sous la direction de Ludovic Morlot au Théâtre de la Monnaie, Bruxelles.

L’homme qui en savait trop
© Bernd Uhlig

Plus que sur le mystère éventé du décor d’Anish Kapoor, l’intérêt de la reprise de cette production de Pelléas et Mélisande repose sur une double distribution où les Pelléas de Stéphane Degout et Yann Beuron brillent de feux antagonistes. Nouveau chef permanent de l’Orchestre de la Monnaie, Ludovic Morlot réussit ses débuts dans la fosse du théâtre bruxellois.
 

Théâtre royal de la Monnaie, Bruxelles
Le 18/04/2013
Mehdi MAHDAVI
 



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  • D’oĂą viennent ces voix surgies de l’obscuritĂ© ? De la première scène de PellĂ©as et MĂ©lisande de Maeterlinck, que Debussy n’a pas mise en musique. Ce sont celles des servantes du château, pour ainsi dire jumelles des Ă©pouses de Barbe-Bleue, dĂ©couvrant soudain la clartĂ©. L’une d’entre elles ne se prĂ©nomme-t-elle pas MĂ©lisande ? Ainsi les premières questions de Golaud trouvent-elles des rĂ©ponses.

    Mais la singularité de la pièce, son charme que d’aucuns diront désuet ne résident-ils pas justement dans ses énigmes ? Pelléas est bien l’histoire d’un homme égaré dans sa forêt intérieure, qui cherche à tout savoir, mais auquel rien ne sera révélé. Dès lors que Golaud sans cesse épie, voit donc et entend tout, Pierre Audi fait fausse route.

    L’insaisissable objet posĂ© par Anish Kapoor sur le plateau tournant de la Monnaie n’avait pourtant pas vocation, loin s’en faut, Ă  dissiper les brumes de l’indicible royaume d’Allemonde. Pour radiographier les personnages, Pierre Audi invite le spectateur Ă  pĂ©nĂ©trer dans ce dĂ©cor, qui serait Ă  la fois « le ventre d’une femme enceinte, un fĹ“tus, un nid d’amour, une salle de torture […] une maison, une chambre, un Ĺ“il humain. Et un symbole sexuel. Â» Ou peut-ĂŞtre encore le pavillon d’une oreille.

    Non pas simultanĂ©ment, en insistant sur une polysĂ©mie qui reflèterait l’écriture symboliste de Maeterlinck, mais successivement, selon un traitement quasi rĂ©aliste – il s’agira sans conteste d’une fontaine, d’une tour, de souterrains…–, qui sous-tend une direction d’acteurs assez banalement psychologique du drame – quid dès lors de la calvitie plus disgracieuse qu’intrigante de MĂ©lisande ? C’est le mĂŞme piège dans lequel le metteur en scène avait sautĂ© Ă  pieds joints en octobre dernier au TCE dans MĂ©dĂ©e de Charpentier, annihilant les prĂ©tentions de la scĂ©nographie de Jonathan Meese Ă  emprunter « un chemin inĂ©dit et radical Â».

    © Bernd Uhlig

    Quoi qu’il en soit, cette reprise valait surtout pour sa double distribution. Suite à une blessure survenue le dernier jour des répétitions, Sandrine Piau en a malgré elle bouleversé le parallélisme : non plus un baryton et une soprano alternant dans les rôles-titres avec un ténor et une mezzo, mais deux voix graves avec deux voix aiguës. Encore que…

    Effilant avec art un instrument qui pourrait être pâteux – à la limite celui de Geneviève –, Monica Bacelli sait instiller le trouble, qui plus est dans un idiome limpide. Sandrine Piau est paradoxalement moins intelligible, il est vrai condamnée à une position peu confortable qui lui interdit la liberté, l’épanouissement du geste. Sa Mélisande en paraît tendue, parfois forcée, univoque même comparée à la chair diaphane de sa consœur italienne.

    Au contrôle absolu de Stéphane Degout, qui réitère, plus clair, moins large et opératique donc qu’à la Bastille, son inégalable leçon de chant français, Yann Beuron oppose des élans plus spontanés, une fragilité aussi, jusque dans l’aigu de son ténor assombri, et un verbe moins châtié sans doute, mais plus naturel et frémissant.

    D’un Golaud à l’autre, aucun ne convainc pleinement. Dietrich Henschel est même carrément disqualifié par cette diction ampoulée et caricaturale qui évoque les pires heures de Jessye Norman, cette couleur rêche et fabriquée, cet aigu court et asséché. Il ne manque en revanche à Paul Gay qu’un peu plus de tenue – de la ligne et de la diction – pour s’imposer comme l’un des grands titulaires actuels du rôle. Car il en a déjà la stature, les fulgurances, et surtout le timbre, sur lequel passe plus d’une fois l’ombre de José Van Dam.

    Bien qu’il ne soit guère plus qu’une silhouette, le mĂ©decin de Patrick Bolleire vaut mieux que les deux Arkel, puisque ni l’un, trop vieux – et exotique, Frode Olsen –, ni l’autre, trop jeune – et monochrome, JĂ©rĂ´me Varnier – ne parviennent Ă  faire entendre « cette tendresse dĂ©sintĂ©ressĂ©e, prophĂ©tique, de ceux qui vont bientĂ´t disparaĂ®tre Â» qui tourmenta tant Debussy. Quant Ă  Sylvie Brunet-Grupposo qui, aussi surprenant que cela puisse paraĂ®tre, prĂŞtait l’immensitĂ© contenue de son mezzo d’un autre temps Ă  Geneviève pour la première fois, elle lit sa lettre aussi simplement et – presque – sans nuance que le recommande le compositeur.

    Pour ses débuts dans la fosse de la Monnaie, et face à une phalange dont il est désormais le chef permanent, Ludovic Morlot évite l’écueil consistant à dénerver la trame orchestrale par obsession de la transparence. Clé d’une lecture urgente, dont la clarté vient de la profondeur des plans sonores aussi bien que d’un geste incisif, qui maintient sans faillir un parfait équilibre avec le plateau – ce qui dans une telle acoustique est loin d’aller de soi.

    Que ceux qui craignaient de voir arriver un symphoniste à la tête de l’Orchestre de la Monnaie se rassurent, un vrai chef de théâtre vient de naître. Et il faut savoir gré à Peter de Caluwe d’avoir osé ce pari risqué.




    Théâtre royal de la Monnaie, Bruxelles
    Le 18/04/2013
    Mehdi MAHDAVI

    Reprise de Pelléas et Mélisande de Debussy dans la mise en scène de Pierre Audi et sous la direction de Ludovic Morlot au Théâtre de la Monnaie, Bruxelles.
    Claude Debussy (1862-1918)
    Pelléas et Mélisande, drame lyrique en cinq actes et douze tableaux (1902)
    Poème de Maurice Maeterlinck

    Chœurs et Orchestre symphonique de la Monnaie
    direction : Ludovic Morlot
    mise en scène : Pierre Audi
    décors : Anish Kapoor
    costumes : Patrick Kinmonth
    Ă©clairages : Jean Kalman
    préparation des chœurs : Martino Faggiani

    Avec :
    Stéphane Degout / Yann Beuron (Pelléas), Dietrich Henschel / Paul Gay (Golaud), Frode Olsen / Jérôme Varnier (Arkel), Monica Bacelli / Sandrine Piau (Mélisande), Sylvie Brunet-Grupposo (Geneviève), Valérie Gabail (le petit Yniold), Patrick Bolleire (un médécin), Alexandre Duhamel (un berger).

     


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