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CRITIQUES DE CONCERTS |
11 décembre 2024 |
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Nouvelle production de Capriccio de Strauss dans une mise en scène de David Marton et sous la direction de Bernhard Kontarsky à l’Opéra de Lyon.
Un caprice désabusé
Dans le dialogue entre Flamand, le musicien, et Olivier, le poète, qui ouvre Capriccio, Richard Strauss pose d’emblée la problématique de son testament lyrique : le mot ou la note ? Qui mieux que David Marton, jeune trublion de la mise en scène dont le travail vise à explorer les rapports profonds entre théâtre et musique, pouvait résoudre cette question ?
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Là où Robert Carsen révélait en expert de la mise en abyme la perspective du plateau du Palais Garnier dans toute sa profondeur, David Marton inscrit Capriccio, par un contraste saisissant entre la noirceur moderne et oppressante de la salle de l’Opéra de Lyon et la spectaculaire vue en coupe d’un théâtre à l’ancienne, inspirée de la maquette du même Palais Garnier au Musée d’Orsay, dans le reflet d’une insouciance, d’une inconscience même, que Strauss entretient par le choix de son sujet.
Bien sûr, la décrépitude guette ces rangs de loges dont les ors défraîchis évoquent aussi les Bouffes du Nord. Mais le monde pourrait bien s’effondrer – et d’ailleurs il s’effondrait, plus encore entre 1939 et 1942 qu’en 1775, ces premiers temps, heureux, selon Dominique Jameux, du règne de Louis XVI, où le compositeur et son colibrettiste, le chef d’orchestre Clemens Krauss, situent l’action de l’opéra –, la Comtesse Madeleine resterait là , figée dans ses illusions, à attendre une réponse qui sans doute ne viendra ni demain matin à onze heures, ni jamais.
Nostalgie du monde d’hier, celui d’Hugo von Hofmannsthal et de Stefan Zweig, regrettés poètes, ou simple caprice, en des temps qui auraient dû le rendre intolérable ? Tandis que La Roche s’exclame : Votre silence vous rend coupables !, Marton met salutairement en doute la sincérité de ce complaisant aréopage d’hommes et de femme de l’art, qui dans leur entre-soi se regardent le nombril – et par-là même interroge la position du vieux compositeur retranché dans sa villa de Garmisch.
Certes, les quelques interruptions du flux musical, qui sont autant de suspensions de sens, ménageant ces échappées burlesques qui rappellent par subreptice que le metteur en scène hongrois a fait ses classes, entre autres, chez Marthaler, feront hurler les puristes. Et pourtant, la qualité la plus évidente de son approche est de donner à voir – par exemple en faisant battre la mesure aux chanteurs pendant l’octuor du rire –, et partant à entendre les enchevêtrements de la partition, préservant Capriccio de l’écueil d’une préciosité verbeuse. Pas étonnant dès lors qu’il soigne moins le monologue final, où Strauss succombe à son péché mignon de la scène à faire – et qui fera, légitimement, la gloire de l’œuvre.
Mais cette impression d’abandon tient aussi à la Comtesse d’Emily Magee. C’est qu’il faut, non seulement ici, mais dès le début de la pièce, une vraie star, ou une diseuse absolue – idéalement, de silhouette, de timbre et de mots : Anne Schwanewilms. La soprano américaine, si elle sait se plier, avec l’honorable discipline d’une straussienne habituée des plus grandes maisons, aux exigences de la conversation en musique, n’est ni l’une ni l’autre, simplement bonne, de voix, commune autant qu’épaisse, comme de présence, solide, mais sans plus de distinction.
Mademoiselle Clairon, qui pourtant n’est qu’actrice – avec donc, derrière le masque de la noblesse tragique, les signes d’une moindre condition –, n’en a que plus de chic et de mordant. Parfait Flamand de Lothar Odinius, d’une ardeur limpide, assumant la part de clairon que Strauss impose à ses ténors, même les moins héroïques, et Olivier un peu moins saillant de Lauri Vasar. Christoph Pohl incarne un comte aussi naturellement dilettante que coureur, et François Piolino un Monsieur Taupe très littéralement taupe, furetant dans tous les recoins du théâtre, imperméable et calepin, telle l’imminence insidieuse du péril extérieur – et bien plus inquiétant que le SS qui chez Carsen donnait le bras à Clairon.
Quelle indélicatesse que de reprocher à Victor Von Halem l’usure de sa voix, quand à soixante-treize ans, la basse allemande la laisse moins paraître que Franz Hawlata, qui à Garnier en 2003 en avait à peine plus de quarante. Ce La Roche bouleversant d’autorité chancelante qui, dans un théâtre déserté, déclare veiller sur l’ancien en attendant patiemment la nouveauté féconde, n’est-ce pas, plus que Titurel revenu d’entre les morts ou Fafner rugissant dans son antre, Wotan surgissant des flammes du Walhalla au lendemain du Crépuscule ? Gardien d’un temple menacé par ceux qui, leurs masques enfin tombés, présentaient, au lieu de visages humains, des gueules de raie !, Strauss répondait ainsi à la cuisante disgrâce de sa démission de la présidence de Reichsmusikkamer dès juillet 1935.
Sans doute la baguette de Bernhard Kontarsky manque-t-elle de souplesse et de magie, mais le chef allemand met précisément en valeur le jeu incessant des (auto)citations, dans un esprit somme toute moins néoclassique que postmoderne. Et puis cette lecture qui refuse aux courbes straussiennes un hédonisme forcément coupable aux temps sombres qui les ont vu naître, prolonge le regard désabusé de David Marton. Le metteur en scène ne déclarait-il pas dans Le Progrès à la veille de la première – que chacun y fasse la part entre provocation et authentique déception – : « Je crois que Capriccio est ma première et ma dernière expérience d’opéra » ?
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Opéra national, Lyon Le 13/05/2013 Mehdi MAHDAVI |
| Nouvelle production de Capriccio de Strauss dans une mise en scène de David Marton et sous la direction de Bernhard Kontarsky à l’Opéra de Lyon. | Richard Strauss (1864-1949)
Capriccio, conversation en musique en un acte op. 85 (1942)
Livret de Clemens Krauss et Richard Strauss
Orchestre de l’Opéra de Lyon
direction : Bernhard Kontarsky
mise en scène : David Marton
dramaturgie : Barbara Engelhardt
décors et costumes : Christian Friedländler
Ă©clairages : Henning Streck
Avec :
Emily Magee (Die Gräfin), Christoph Pohl (Der Graf), Lothar Odinius (Flamand), Lauri Vasar (Olivier), Victor Von Halem (La Roche), Michaela Selinger (Clairon), François Piolino (Monsieur Taupe), Elena Galitskaya (Eine italienische Sängerin), Dmitry Ivanchey (Ein italienische Tenor), Christian Holdenburg (Der Haushofmeister). | |
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