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CRITIQUES DE CONCERTS |
16 octobre 2024 |
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Nouvelle production de la Traviata de Verdi dans une mise en scène d’Emmanuelle Bastet et sous la direction de Roberto Rizzi Brignoli à Angers Nantes Opéra.
Lolita aux pieds nus
Avant Pelléas et Mélisande la saison prochaine, Emmanuelle Bastet poursuit avec la Traviata son parcours quasi sans faute sur les scènes d’Angers Nantes Opéra. Sombre et métaphorique, sa vision de l’opéra de Verdi évite les pièges de la convention, et trouve un reflet sans concession dans la direction de Roberto Rizzi Brignoli.
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Un cadre de scène drapé de noir comme la promesse d’un espace métaphorique au-delà de sa simple fonction funéraire, la Traviata selon Emmanuelle Bastet s’ouvre tel le cauchemar d’une nuit sans réveil. Durant le prélude, la présence d’une blouse blanche auprès de Violetta laisse craindre que la metteure en scène ait succombé à la tentation du flashforward, tarte à la crème de tant de productions, modernes ou traditionnelles, du chef-d’œuvre de Verdi. Mais l’impression n’est que fugace – le temps que l’esprit de Violetta s’embrume.
Dans cette chambre obscure tapissée de miroirs – cocon ou prison ? – s’ouvre soudain la porte d’une armoire au trésor : du sol au plafond, des paires et des paires d’escarpins aux talons vertigineux, exhibées comme autant de trophées. Voilà le deal : « paie-moi mes Louboutin, et je m’offrirai à toi. » Ambivalence d’une enfant gâtée, victime de sa fascination pour tout ce qui brille. Cendrillon qui aurait mal tourné, cette Lolita perdue dans la jungle du plaisir monnayé creuse sa propre tombe en tentant de s’en évader.
Soudain, une faune de noctambules vomis par une société de faux-semblants prend d’assaut cet espace confiné. Ne faut-il pas que l’air du I soit étouffant pour que Violetta remarque, parmi ces hommes mûrs, pleins d’eux-mêmes, et surtout d’argent, ce garçon qui, les dépassant d’une tête, n’a pour lui que le charme de sa jeunesse, et de sa timidité, comme une bouffée d’oxygène. À l’instar de Christoph Marthaler, mais par des moyens qui lui sont diamétralement opposés, Emmanuelle Bastet montre avec une infinie sensibilité, sans la moindre affectation donc, la rencontre de deux êtres, de deux fragilités, hors de ce monde d’apparences qui les encercle, et sera fatal à cet amour qu’ils ont cru possible.
C’est non sans une pointe de kitsch que les camélias envahissent la chambre du II, où les jeux de miroirs démultiplient la présence d’un Germont père arborant à la boutonnière le symbole de l’ordre social dont il se pose en garant intransigeant. Il aura plus tard ce geste glaçant, aussi petit que remarquable – de ceux en somme qui font les grandes mises en scène – de vérifier si la chemise chiffonnée sur le lit est bien celle de son fils. Le bal chez Flora, inquiétante créature alla Mugler, n’est dès lors plus que le fruit du délire de la mourante, livrée en pâture à une armée de spectres.
Des miroirs ne demeure au III qu’un morceau, auquel Violetta se raccroche, dans l’espoir peut-être que s’y reflète une dernière fois l’illusion de son bonheur avec Alfredo. Mais un linceul déjà recouvre un plateau déserté par la vie. Il est trop tard pour les remords, la dévoyée meurt pieds nus. Son sacrifice aura-t-il au moins servi d’exemple ? Beauté d’un regard éminemment féminin – et non pas féministe, aux antipodes donc de la production de la Monnaie, où Andrea Breth s’engouffrait dans cette brèche jusqu’à la caricature.
D’autant que dans la fosse, Roberto Rizzi Brignoli, décidément l’un des verdiens les plus prégnants du moment, est porteur d’une vraie vision de la partition. Baguette exigeante et impérieuse, ne tolérant aucun des compromis admis, et même encouragés par une certaine tradition, le chef italien alterne dès une ouverture jouée legatissimo la caresse et le coup de fouet. Sans atteindre le degré de cohésion que Mark Shanahan était parvenu à obtenir dans Falstaff en mars 2011, l’Orchestre National des Pays de la Loire révèle toute l’étendue de sa palette chromatique.
La voix légère, trop légère de Mirella Bunoaica ne sort pas indemne de sa première grande confrontation avec Violetta. Au point de perdre, dans l’aigu comme dans la vocalise, les avantages mêmes de cette légèreté. Mais la Traviata ne se livre pas d’emblée, et si elle n’y revient pas trop fréquemment, la soprano roumaine a tout le temps pour l’apprivoiser. Pour l’heure, elle forme avec Edgaras Montvidas un couple criant de vérité. Doté d’un timbre naturellement séduisant, auquel ne fait défaut qu’un grain plus latin, le ténor lituanien déploie en Alfredo un nuancier dont le raffinement n’exclut pas un instant la spontanéité.
Moins compassé qu’en janvier dernier au Grand Théâtre de Genève, où il prêchait dans un éprouvant désert d’intentions musicales et dramaturgiques, Tassis Christoyannis se distingue non pas tant par le poids et l’éclat de l’instrument que par à un art du chant décidément supérieur, dont la moindre inflexion devrait servir de modèle. Qui plus est en cette année de bicentenaire l’obligation de célébrer le maître de Busseto conduit trop fréquemment à sacrifier la qualité à la quantité des productions verdiennes. La Traviata présentée par Angers Nantes Opéra évite définitivement cet écueil.
Prochaines représentations :
Théâtre Graslin, Nantes, le 5 juin, le Quai, Angers, les 16 et 18 juin
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Théâtre Graslin, Nantes Le 26/05/2013 Mehdi MAHDAVI |
| Nouvelle production de la Traviata de Verdi dans une mise en scène d’Emmanuelle Bastet et sous la direction de Roberto Rizzi Brignoli à Angers Nantes Opéra. | Giuseppe Verdi (1813-1901)
La Traviata, opéra en trois actes (1853)
Livret de Francesco Maria Piave d’après la Dame aux camélias d’Alexandre Dumas fils
Chœur d’Angers Nantes Opéra
Orchestre National des Pays de la Loire
direction : Roberto Rizzi Brignoli
mise en scène : Emmanuelle Bastet
décors : Barbara de Limburg
costumes : VĂ©ronique Seymat
éclairages : François Thouret
Avec :
Mirella Bunoaica (Violetta Valéry), Edgaras Montvidas (Alfredo Germont), Tassis Christoyannis (Giorgio Germont), Leah-Marian Jones (Flora Bervoix), Cécile Galois (Annina), Christophe Berry (Gastone, visconte de Letorières), Laurent Alvaro (Barone Douphol), Pierre Doyen (Marchese d’Obigny), Frédéric Caton (Dottor Grenvil), Boo Sung Kim (Giuseppe). | |
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