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CRITIQUES DE CONCERTS |
04 octobre 2024 |
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Concert de l’Orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam sous la direction de Gustavo Dudamel à la salle Pleyel, Paris.
L’instinct et la rigueur
Accueilli comme un phénomène, le fougueux chef vénézuélien Gustavo Dudamel poursuit, à 32 ans, une carrière fulgurante. Nommé voilà quatre ans au Los Angeles Philharmonic, il dirige aussi les plus grandes formations européennes. À la tête du Concertgebouw d’Amsterdam, il se démène à Pleyel dans un programme américain conclu par la Symphonie du Nouveau Monde.
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Le monde entier a vu en Gustavo Dudamel un rédempteur de la musique classique. Il est issu du projet El Sistema qui, au Venezuela, dans un pays de 22 millions d’habitants, a familiarisé plus de 250 000 jeunes au classique et créé 126 orchestres. Ce bilan surprend au moment où, en Europe, le rajeunissement du public se produit bien lentement.
Par son énergie, par sa musicalité, Dudamel ravit le grand public et les spécialistes qui le couvrent de prix. Il a cependant choqué certains. Ses détracteurs voyaient dans ses concerts plus de la performance en grand écran et technicolor que de la musique ; on lui reproche parfois un instinct racoleur, un manque de profondeur et un fatras ostentatoire dans ses interprétations. Sans doute cela a-t-il été vrai lors de ses tout premiers concerts.
Mais Dudamel a changé. Du tout au tout. Dans la forme par exemple : plus de gesticulation outrancière. À la tête du Royal Concertgebouw d’Amsterdam, il passe à une direction intelligente et sensible, sans agitation excessive, sans sauts, ni contorsions. Le sauvage extraverti, à la chevelure bouclée trempée de sueur, se fait serein et déterminé, incisif et rigoureux : un autre homme. Sans doute la maturité est-elle venue ?
Certes, Dudamel a encore une forte tendance démonstrative en jouant d’une manière flamboyante Colores de la Cruz del Sur d’Esteban Benzecry (43 ans). Ce compositeur franco-argentin est issu du CNR de Paris et du Conservatoire de la Villette. Considéré comme un héritier de Villa-Lobos et de Ginastera, il fusionne des musiques de tradition latino-américaine, voire folkloriques, dans des orchestrations savantes et des sonorités féériques.
En moins de quinze minutes, on en voit de toutes couleurs dans un mélange de tonal et d’atonal, de mélodies péruviennes et de malambo, danse des hommes dans la pampa, de complaintes au son de pizzicati. C’est brutal, joyeux, profond, anxiogène et rêveur. Dudamel est un familier de Benzecry dont il a déjà dirigé plusieurs œuvres, par exemple le Concerto pour piano avec Lang-Lang.
C’est une Amérique revisitée, comme les Neruda Songs que l’Américain Peter Lieberson (1946-2011) avait écrits pour sa femme, la mezzo Lorraine Hunt, en hommage à l’écrivain chilien Pablo Neruda. Ces mélodies voudraient rappeler les Quatre Derniers Lieder de Richard Strauss. Le texte subjugue, la musique vient en soutien et le transfigure. La mezzo allemande Christianne Stotjinn lui donne une intensité poignante et mélancolique.
Mais le chef-d’œuvre de la soirĂ©e reste la Symphonie du Nouveau Monde de Dvořák. Nourrie du terrain qui l’a vu naĂ®tre, les États-Unis, avec ses racines noires et indiennes, cette Ĺ“uvre, empreinte d’une atmosphère frissonnante et fiĂ©vreuse, va comme un gant Ă Dudamel. Rarement a-t-on entendu cette partition rabâchĂ©e avec une telle impĂ©tuositĂ©, une telle variĂ©tĂ© de styles (merveilleux hautboĂŻstes et clarinettistes) et une pareille magnificence harmonique.
L’Orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam est bien l’une des phalanges les plus exceptionnelles de la Vieille Europe, et Dudamel l’homme d’un nouveau monde musical, mêlant instinct et rigueur.
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Salle Pleyel, Paris Le 08/06/2013 Nicole DUAULT |
| Concert de l’Orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam sous la direction de Gustavo Dudamel à la salle Pleyel, Paris. | Esteban Benzecry (*1970)
Colores de la Cruz del Sur (2002, rév. 2008)
Peter Lieberson (1946-2011)
Neruda Songs (2005)
Christianne Stotjin, mezzo-soprano
AntonĂn Dvořák (1841-1904)
Symphonie n° 9 en mi mineur op. 95, « Du Nouveau Monde » (1893)
Royal Concertgebouw Orchestra
direction : Gustavo Dudamel | |
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