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CRITIQUES DE CONCERTS |
08 octobre 2024 |
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Création mondiale d’Aliados de Sebastian Rivas dans une mise en scène d’Antoine Gindt et sous la direction de Léo Warynski au Théâtre de Gennevilliers.
Thatcher et Pinochet, stars d’opéra
La rencontre de Margaret Thatcher et Augusto Pinochet à Londres, le 26 mars 1999, a été diffusée par les médias du monde entier. Que s’est-il passé entre ces deux monstres politiques vieillissants ? De cette confrontation est né un opéra passionnant autant par le sujet (la mémoire et la responsabilité), l’interprétation, la musique que la mise en scène.
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Une perle rare qu’Aliados (Alliés) du compositeur franco-argentin Sebastian Rivas (37 ans) sur un livret d’un autre franco-argentin, Esteban Buch ! L’opéra scrute les arcanes de ce face-à -face entre le vieux dictateur malade et la Dame de fer déjà atteinte d’Alzheimer. Pendant une heure vingt, sans aucun temps mort, autour d’une tasse de thé, Pinochet chantant en espagnol et Margaret Thatcher en anglais, se déroule une conversation qui n’est jamais un dialogue mais un discours à deux voix avec des phrases terribles.
La plus percutante est celle de Margaret Thatcher, qui vient remercier le dictateur de son aide pendant la guerre des Malouines, disant à Pinochet : « Vous avez ramené la démocratie au Chili », comme si les milliers de torturés n’existaient pas ! Elle arbore un sourire glacé, comme si, de son côté, les mineurs violemment réprimés et les Irlandais indépendantistes morts de faim n’avaient pas compté dans son bilan !
Pinochet vêtu de jaune (magnifique Lionel Peintre) est dans une chaise roulante. Maggie (Nora Petrocenko), avec sa mise en pli apprêtée, son teint clair et son tailleur vert, est plus vraie que nature. Leur dialogue apparemment bienséant, feutré, est, sous une apparence enjouée, totalement explosif de vacuité.
Le spectateur est plus profondément associé à cette confrontation par une captation audiovisuelle en direct retransmise au-dessus des chanteurs-acteurs sur grand écran. Des images d’archives et le cadavre d’un soldat anonyme, émergeant de son linceul et clamant au début et à la fin de l’ouvrage : « Et moi, moi, conscrit des opérations pour rien », accentuent la tension. La mise en scène d’Antoine Gindt, directeur de T&M, est précise, efficace et rend aux personnages leur vérité historique.
La musique jouée par l’Ensemble Multilatérale comporte un trombone, une clarinette, un piano, un violon, des percussions et une guitare électrique remarquablement intégrée. Prolongée par un système d’électronique en temps réel conçu par l’Ircam, la partition de Sebastien Rivas comprend aussi bien du jazz, du rock que des citations de Stravinski, de Mozart, de Purcell ou encore des chansons populaires latino américaines.
Rien de tout cela n’est plaqué mais subtilement agencé. Voilà une réussite donnée dans le festival Manifeste de l’Ircam qui mériterait d’être reprise dans d’autres théâtres.
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