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CRITIQUES DE CONCERTS |
11 décembre 2024 |
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Première au Grand Théâtre de Genève des Noces de Figaro de Mozart mises en scène par Guy Joosten, sous la direction de Stefan Soltesz.
Mauvais choix
Les Noces de Figaro d’ouverture de saison du Grand Théâtre de Genève pouvaient se prévaloir d’une distribution sinon exceptionnelle, du moins prometteuse. Mais les aléas du monde lyrique ont privé cette reprise de la mise en scène de Guy Joosten de trois de ses protagonistes. Leurs remplaçants oscillent entre le convenable et le médiocre.
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Une distribution, ce ne sont pas seulement des noms alignés sur une affiche, mais des personnalités, des voix assorties pour former une équipe, un ensemble. Qui plus est dans un opéra de Mozart. Plus encore qu’avec la Traviata en mal de rôle-titre de l’hiver dernier, le Grand Théâtre de Genève a joué de malchance avec ces Noces de Figaro qui, suite au retrait de Russell Braun (le Comte), Ekaterina Siurina (Susanna) et Stéphanie d’Oustrac (Cherubino), se sont retrouvées littéralement décimées.
Mais si une maison d’opéra se juge à la qualité de ses seconds choix, celle de la Place de Neuve n’a manifestement pas fait les bons. Non que les trois artistes appelés à la rescousse avant que ne s’enclenche le processus des répétitions, et donc a priori parfaitement intégrés à la production, soient indignes dans l’absolu. Il n’empêche cependant que chacun pose à un moment ou un autre la question de son adéquation vocale au rôle qu’il est censé incarner.
Ardente, parfois jusqu’à l’excès, et dotée d’un physique qui entretient assez idéalement l’illusion du double travestissement, Maria Kataeva n’a à offrir à Cherubino qu’un timbre sonore certes, mais surtout ordinaire, dépourvu de ce frémissement adolescent propre à faire systématiquement chavirer ces dames. Le Comte de Bruno Taddia lui non plus ne manque pas d’une certaine allure, noble de (Second) Empire davantage sans doute qu’aristocrate d’Ancien Régime – quoique la transposition de l’intrigue quelque part au mitan du siècle dernier rende caduque cette distinction.
Il peut même se targuer des avantages rien moins que négligeables d’une couleur claire et saine, et partant de voyelles décuplant la saveur de l’idiome de Da Ponte – d’autant qu’il est à peu près le seul à le pratiquer. Toutefois, si l’absence de grave pouvait plus ou moins passer inaperçue dans ses récents Figaro du Barbier de Séville de Rossini et Pasquale d’Orlando Paladino de Haydn au Châtelet, elle est ici patente, voire même rédhibitoire, non seulement dans l’aria du III, mais aussi dans plus d’un ensemble.
Il serait indélicat, après avoir si souvent déploré le manque de substance de la plupart des interprètes de Susanna dans le médium – rappelons à cet égard que Nancy Storace, la créatrice du rôle, serait aujourd’hui considérée comme une mezzo –, de reprocher à Nataliya Kovalova d’avoir une voix trop corsée. Ce sont plutôt la souplesse, le charme, la jeunesse qui font défaut à la soprano ukrainienne, et donc à la camériste sa finesse de caractère, encore entravée par les airs de pimbêche à frange que lui impose la mise en scène.
Rien à dire de neuf sur la Comtesse de Malin Byström, qui comme à Beaune en 2007 et à Aix-en-Provence l’année dernière, est embarrassée par une émission pâteuse. La ligne de Dove sono – et la mezza voce de la reprise – semble dès lors la soumettre à de tels efforts de concentration que toute velléité d’expression s’en trouve annihilée. Quant à David Bizic, il répète avec efficacité, et sans en rajouter, son Figaro de bonne tradition, avec tout de même un surcroît de brio au I, qui se diluera bien vite dans l’immuable grisaille de l’orchestre.
D’autant que si l’acoustique du Grand Théâtre s’est plus d’une fois avérée redoutable de ce point de vue, la direction de Stefan Soltesz n’aide pas, bien au contraire, à tempérer la sévérité de ce jugement. Dans des tempi généralement prestes, la partition va tout droit, sans couleurs ni relief. Cette absence de folie, de palpitation mozartienne, la mise en scène de Guy Joosten ne la compense qu’au moyen d’une agitation extérieure.
Certains détails ont beau sauver l’ensemble de la banalité – sans la finesse toutefois d’un Richard Brunel au Festival d’Aix-en-Provence, tant dans l’intention que dans la réalisation –, l’impression demeure tenace d’assister à un vaudeville façon Au théâtre ce soir. Qu’importe cette superbe serre, dont la perspective s’accélère au fil des actes avant sa destruction par la chute d’un arbre, puisque le plus souvent, les intrigues se jouent indépendamment du décor. Faut-il y voir la métaphore d’un monde sur le point d’exploser, où nul, quelle que soit sa condition sociale, n’a plus la maîtrise de ses actes ?
Le propos demeure obscur, et en apparente contradiction avec une direction d’acteurs dont les effets comiques sont décidément des plus convenus. Au point de se demander pourquoi le choix s’est porté sur cette mise en scène créée à l’Opéra de Flandre en 1995, plutôt que sur une autre. « Dans cette production, il y a quelque chose de très actuel et même de révolutionnaire, dans le sens où cette saison est ancrée dans un siècle marqué par de nombreux changements et de nombreuses révolutions. » Cette réponse laconique de Daniel Dollé, dramaturge et conseiller artistique du Grand Théâtre de Genève, ne laisse pas moins dubitatif.
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Grand Théâtre, Genève Le 09/09/2013 Mehdi MAHDAVI |
| Première au Grand Théâtre de Genève des Noces de Figaro de Mozart mises en scène par Guy Joosten, sous la direction de Stefan Soltesz. | Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Le Nozze di Figaro, opera buffa en quatre actes (1786)
Livret de Lorenzo da Ponte d’après la Folle journée, ou le Mariage de Figaro de Beaumarchais
Chœur du Grand Théâtre de Genève
Orchestre de la Suisse Romande
direction : Stefan Soltesz
mise en scène : Guy Joosten
décors : Johannes Leiacker
costumes : Karin Seydtle
Ă©clairages : Benny Ball
Avec : Bruno Taddia (Il Conte di Almaviva), Malin Byström (La Contessa di Almaviva), David Bizic (Figaro), Nataliya Kovalova (Susanna), Maria Kataeva (Cherubino), Marta Márquez (Marcellina), Christophoros Stamboglis (Bartolo), Raúl Giménez (Don Basilio), Fabrice Farina (Don Curzio), Piet Vanischen (Antonio), Elisa Cenni (Barbarina). | |
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