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CRITIQUES DE CONCERTS |
10 octobre 2024 |
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Reprise de l’Affaire Makropoulos de Janáček dans la mise en scène de Krzysztof Warlikowski et sous la direction de Susanna Mälkki Ă l’OpĂ©ra de Paris.
Un nouvel Ă©clairage
Deuxième reprise Ă l'OpĂ©ra Bastille de l'Affaire Makropoulos dans la mise en scène quasi dĂ©finitive de Krzysztof Warlikowski. Ricarda Merbeth et l'ensemble de la distribution pâtissent de la comparaison avec leurs prĂ©dĂ©cesseurs mais Susanna Mälkki, rompue au rĂ©pertoire contemporain, crĂ©e la surprise dans la fosse en insufflant ampleur et mĂ©lancolie Ă Janáček.
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Il existe trois sortes de spectateurs pour cette reprise de l’Affaire Makropoulos selon Krzysztof Warlikowski. Les premiers dĂ©couvrent l'opĂ©ra. Gageons que l'histoire concoctĂ©e par Janáček leur donne du fil Ă retordre. Le livret nous plonge en effet dans les mĂ©andres d'une affaire juridique au premier acte puis dans les caprices d'une diva mystĂ©rieuse au deuxième.
La mise en scène ne les aide sans doute guère à la compréhension puisque les costumes filent une métaphore appuyée à Marylin Monroe, associée à des extraits cinématographiques (Sunset Boulevard notamment), jusqu'à l'apparition d'un King Kong géant. Le troisième et dernier acte décante enfin les choses, à savoir qu’Emilia Marty (alias Elina Makropoulos) est une immortelle de 337 ans ayant bu un philtre de jeunesse par le passé.
Bilan probable de l'initiation : un spectacle visuellement intĂ©ressant mais frustrant Ă suivre et difficile Ă apprĂ©cier sur le moment. Il existe aussi l'amateur de Janáček qui dĂ©couvre pour la première fois la mise en scène de Warlikowski. L'idĂ©e du film d'introduction l'installe tout de suite dans l’âge d'or du Hollywood des annĂ©es 1950, Ă©tablissant un rapprochement fertile entre Emilia Marty et les stars de cinĂ©ma.
On embarque dès lors pour une prodigieuse réflexion sur la jeunesse éternelle, les pulsions de vie et de mort et la quête de célébrité, avec une insolence qui offre ce que le théâtre a de meilleur à l'opéra, sans jamais occulter la partie purement musicale. Bilan probable du spectacle : une somptueuse soirée qui déploie les possibilités philosophiques et dramatiques d'une œuvre à son maximum d'intelligence théâtrale. Un écueil cependant, l'émotion affleure seulement.
Et puis, il y a ceux, nombreux aussi, qui ont déjà vu la mise en scène de Warlikowski en 2007 ou en 2009. Pour eux, le bilan se fera plus mesuré, car cette reprise s'avère nettement en-deçà de la précédente. Dès sa première apparition, il faut se rendre à l'évidence, Riccarda Merbeth n'est pas très à l'aise dans sa robe de Marylin. Mais avec abnégation, elle se plie aux exigences physiques réclamées par la mise en scène et finit par triompher d'un rôle complexe grâce à un timbre chaleureux et une musicalité hors-pair.
C'est ici que le bât blesse. Est-ce la routine d'une production qui a déjà beaucoup tourné ou une équipe vocale moins concernée ? Le spectacle met du temps à décoller. Les déplacements sur scène sont moins rôdés qu'il y a trois ans. On se retrouve ainsi dans un entre-deux entre théâtre et opéra, où des chanteurs maladroits essaient de mimer la spontanéité et la vivacité de l'improvisation théâtrale.
Le Regietheater y perd sa force de subversion et ses tics apparaissent : faux interludes improvisés, chanteurs sur le devant de la scène à la manière d'un speaker, vidéo conceptuelle qui tourne en boucle. Petit à petit, le décalque s'anime néanmoins, particulièrement dans les scènes de séduction (malgré un ténor, Atilla Kiss-b, court en voix), et le spectacle finit par retrouver sa magie.
La rĂ©ussite de la soirĂ©e, on la doit Ă©galement et surtout Ă Susanna Mälkki, ancienne patronne de l'Ensemble Intercontemporain, qui dirige l'Orchestre de l'OpĂ©ra pour la deuxième fois après le ballet Siddharta. Comme on pouvait s'y attendre avec cette experte de musique contemporaine, l'orchestre sonne avec une clartĂ© exceptionnelle. Les bribes mĂ©lodiques et les ostinati rythmiques chers Ă Janáček cinglent et s'enchevĂŞtrent, notamment les apparitions solistes qui sonnent avec une modernitĂ© hallucinante.
Mais la Finlandaise ne se contente pas de faire briller son orchestre. Plus surprenant de la part d'une aguerrie à la musique d'aujourd'hui, elle favorise une lenteur et une épaisseur du son qui sertissent l'ensemble d'une nostalgie et d'une gravité dont on n'avait pas le souvenir avec la direction allante de Thomas Hanus. Et si par l'implication moindre des différents éléments, la scène finale déçoit, l'Affaire Makropoulos selon Warlikowski reste un spectacle inoubliable, qui résonne longtemps après la fin de la représentation.
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