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CRITIQUES DE CONCERTS |
13 octobre 2024 |
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Fin du cycle Chostakovitch de l’Orchestre Mariinski sous la direction de Valery Gergiev, avec la participation des violonistes Alena Baeva et Vadim Repin à la salle Pleyel, Paris.
Chostakovitch à satiété
Il y avait de quoi se sentir gavé comme une oie à la veille des fêtes au sortir de ce dernier tiers de l’intégrale des symphonies et concertos de Chostakovitch sous la houlette de Valery Gergiev à la salle Pleyel. Une boulimie musicale aussi passionnante que frustrante dans le détail des options du chef ossète.
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Il n’est guère étonnant que le trublion Valery Gergiev, boulimique de la baguette, fier d’afficher à son compteur quelque 293 concerts dirigés en 2013, ait proposé une intégrale des symphonies et concertos de Chostakovitch sur seulement huit concerts salle Pleyel, avec des couplages gargantuesques.
Ainsi, après l’entrée des 7 et 8 janvier 2013, le plat de résistance des 1er, 2 et 3 décembre, Gergiev nous conviait à un dessert ô combien roboratif ces 16, 17 et 18 février : les deux concertos pour violon dispatchés au milieu de monstres se suffisant à eux-mêmes comme la Septième, la Huitième, la Onzième Symphonie, ainsi que la plus modeste mais bien assez consistante Symphonie n° 12.
Côté archets, on aura été plus sensible au tranchant des attaques de la jeune Alena Baeva, un peu flottante dans les harmoniques de l’Adagio du Deuxième Concerto mais d’une magnifique rigueur et d’un jeu à la corde grisant dans son Finale, qu’à la sonorité hésitante, souvent approximative d’un Vadim Repin qu’on a connu plus inspiré et surtout meilleur technicien, savonnant ici ses traits et perdant sa justesse dans la redoutable course à l’abîme de la Burlesque de surcroît bissée du Premier Concerto.
Au milieu de pareille pléthore, Gergiev ne peut décemment pas pousser en permanence l’excellent Orchestre du Théâtre Mariinski dans ses derniers retranchements, alors qu’une exécution avec tout l’engagement physique nécessaire d’un journal de guerre comme la Huitième Symphonie mettrait à elle seule à genoux n’importe quel orchestre de premier plan.
On connaît du reste l’amour du maestro pour l’instant au détriment de la vision d’ensemble, sa manière de surjouer, ou plutôt d’expédier certains passages alors qu’il en choie d’autres à l’infini, laissant de plus en plus souvent un sentiment mitigé, celui d’un « oui mais » permanent au fil de ces trois soirées.
L’exécution de la Symphonie n° 12, souvent considérée comme l’une des plus faibles du corpus chostakovien, est d’ailleurs l’exception qui confirme la règle de cette ultime trilogie, la seule où la tension globale, l’attention à chaque détail ne faiblissent à aucun moment, tant dans les trépidations rythmiques de Petrograd révolutionnaire que dans le climat sibélien des Crues ou encore les teintes en sommeil d’Aurore.
Car si le rendu global de ces concerts reste d’un très haut niveau, on regrette que le Chostakovitch de Gergiev sonne aussi léché, aux dépens de la tragédie intérieure, des conflits d’un langage cyclothymique et paranoïaque où joie forcée et désespoir absolu se côtoient de très près. Bref, on reste en marge des terribles déchirements humains narrés par un corpus témoin des affres de la Russie soviétique.
Même évoquant le souvenir de la vie d’avant la Seconde Guerre mondiale, l’entrée en matière de la Symphonie Leningrad sonne avec une naïveté trop premier degré, sans le moindre malaise sous-jacent, pour ne rien dire du simili-Boléro de Ravel figurant l’entrée de la Wehrmacht dans la cité russe, si rapide et purement virtuose qu’il n’a plus rien du rouleau compresseur sonore attendu.
Avant pourtant un Moderato extrêmement bien contrasté, et un Adagio au choral magnifique de plénitude dans les vents, avec des solos de bois toujours divinement phrasés. On déplorera de même l’introduction sans tension de la Symphonie n° 8, lisse, mollement articulée, là aussi avant des trésors de raffinement dans les nuances ténues, et quelques moments d’électricité particulièrement grisants dans le triptyque central.
Enfin, la peinture sonore de l’armée chargeant la foule dans Le 9 janvier, mouvement liminaire de la Symphonie n° 11 dédiée à la Révolution avortée de 1905, est là encore trop survolée, trop horizontale, pas assez creusée pour convaincre, de même que l’ultime crescendo forcené du Tocsin, amoindri, fait suite à un mouvement de déploration d’une magnifique intériorité.
Alors qu’il règne en Tsar incontesté de la Russie musicale, au point d’avoir été invité par son ami Vladimir Poutine parmi les happy few dignes de porter le drapeau olympique à Sotchi, on regrettera que ce cycle Chostakovitch de Gergiev manque de cette terreur que savaient y insuffler ses prédécesseurs de l’ère soviétique Mravinski, Kondrachine ou Svetlanov, qui ne montaient jamais sur le podium sans donner à vivre une véritable expérience, raison d’être de ces partitions d’une brûlante intensité.
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Salle Pleyel, Paris Le 18/02/2014 Yannick MILLON |
| Fin du cycle Chostakovitch de l’Orchestre Mariinski sous la direction de Valery Gergiev, avec la participation des violonistes Alena Baeva et Vadim Repin à la salle Pleyel, Paris. | Dimitri Chostakovitch (1906-1975)
16 février :
Concerto pour violon et orchestre n° 2 en ut# mineur op. 129
Alena Baeva, violon
Symphonie n° 7 en ut majeur « Leningrad »
17 février :
Symphonie n° 12 en ré mineur op. 112 « l’Année 1917 »
Symphonie n° 8 en ut mineur op. 65
18 février :
Concerto pour violon et orchestre n° 1 op. 77
Vadim Repin, violon
Symphonie n° 11 en sol mineur op. 103 « l’Année 1905 »
Orchestre du Théâtre Mariinski
direction : Valery Gergiev | |
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