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CRITIQUES DE CONCERTS |
12 octobre 2024 |
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Reprise de Pelléas et Mélisande de Debussy dans la mise en scène de Stéphane Braunschweig, sous la direction de Louis Langrée à l'Opéra Comique, Paris.
Clarté, naturel, évidence
Trois mots d'ordre, qui dans la reprise de Pelléas et Mélisande à l'Opéra Comique retrouvent un sens souvent galvaudé. Rendue à son écrin originel, la langue singulière du drame lyrique de Debussy résonne avec une immédiateté qui n'en dissipe pas pour autant le mystère, éclairé par la mise en scène de Stéphane Braunschweig et la direction de Louis Langrée.
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Il faudrait ne rien ajouter – cela dit sans aucune vanité – à ce que Yannick Millon et moi-même avions écrit, l'un sur la création de la production de Stéphane Braunschweig, alors placée sous la baguette de John Eliot Gardiner, l'autre sur la version de concert dirigée par Louis Langrée au Théâtre des Champs-Élysées en avril 2011. Non plus qu'à ce que ce dernier nous confiait récemment à propos du drame lyrique de Debussy. Car le metteur en scène et le chef d'orchestre eux-mêmes n'ont rien ajouté – ni retranché d'ailleurs – à Pelléas et Mélisande, suivant à la lettre ces mots d'ordre devenus communs : clarté, naturel, évidence.
Braunschweig interroge certes les ombres de la pièce de Maeterlinck à la lumière d'Hamlet. Mais contrairement à Pierre Audi, qui tenait absolument, dans sa production bruxelloise, à nous faire savoir d'où venait Mélisande – nous ne voulons, et ne devons pas –, il n'assène aucune réponse. L'allusion suffit, comme lorsque jaillit, par une trappe ou des persiennes entrebâillées, le vert mortifère des eaux stagnantes sur lesquelles est bâti le royaume d'Allemonde. À l'instar de certain Danemark, la maladie et/de l'impuissance y frappe un monarque qui tarde à élever la voix contre la violence qui s'y perpétue.
Car ce qui doit advenir, et qui adviendra, a déjà eu lieu à la génération précédente : le fratricide sur lequel s'est refermée, si lourde du poids du secret, la porte du château. Qui sont ici des enfants ? Pelléas, oui, mais pas Mélisande, d'autant que le physique de Karen Vourc'h proclame absolument le contraire – elle est la femme, cause de discorde, et de meurtre. Golaud donc, prostré au pied de la tour. Parce que voyant ce qu'une fois encore il n'aurait pas dû voir, il revit le traumatisme qui a sapé son innocence, et fait de lui un homme dangereux, pour les autres autant que pour lui-même.
C'est là ce que, sans insister, ni prendre la pose de celui qui sait, et surtout sans laisser pénétrer dans ce huis-clos l'arsenal d'un théâtre psychologisant, Braunschweig nous révèle. Car son talent est de se tenir en équilibre sur le fil du rêve symboliste de Maeterlinck. C'est aussi que les chanteurs – et acteurs –, crédibles comme rarement et pour cette raison même, ne jouent pas. Que rien donc ne fait écran entre eux et nous. Afin qu'ainsi nous soyons tous Pelléas, et tous Mélisande – pour reprendre les mots de Louis Langrée.
D'autant plus que dans l'acoustique de la salle Favart, qui dans d'autres ouvrages pourtant taillés à ses mesures a trahi maintes baguettes, la question de l'équilibre entre fosse et plateau ne se pose pas. Les mots portent, sans qu'il y ait besoin de recourir à l'emphase souvent surannée de cet art si typiquement français de la déclamation. Clarté, naturel, évidence : « chanter, c'est parler plus haut » a dit José van Dam. À peine, vraiment.
À quoi bon pointer, dans pareil contexte, l'intonation parfois chancelante de Karen Vourc'h, tant elle vibre à l'unisson de Phillip Addis, Pelléas fulgurant, avec dans la tessiture cette lumière, ces allègements inouïs qui toujours vont de soi – ni artifice technique, ni raffinement ostentatoire –, et cette incertitude que Debussy n'a pas voulu dissiper ? Voix conséquente assurément, et chanteur ailleurs fruste, Laurent Alvaro trouve peut-être en Golaud le rôle de sa vie. Car bien que la brume de l'aigu paraisse moins voulue que subie, il fait sourdre du timbre et du texte, dans ce qui parfois n'est guère plus qu'un murmure, cette faille qui va bien au-delà , évidemment, des affres de la jalousie.
Caduques sont les réserves formulées à l'encontre de Jérôme Varnier, qui à la Monnaie nous avait semblé trop jeune et monochrome. Parce que rendu à son écrin originel, Arkel donne à entendre, portée par un legato de violoncelle, « cette tendresse désintéressée, prophétique, de ceux qui vont bientôt disparaître. » De la lettre de Geneviève enfin, Sylvie Brunet-Grupposo possède l'exact ton, et ce frémissement qui n'est qu'à elle – ou alors hérité d'une tradition oubliée, sinon perdue.
Ces couleurs aussi, que ressuscitent les instruments d'époque de l'Orchestre des Champs-Élysées. Louis Langrée, qui les a patiemment, amoureusement écoutées, pour mieux se les approprier, livre une lecture moins sombre qu'avec l'Orchestre de Paris, mais tout aussi tendue, et en même temps fluide, guidant les chanteurs à travers ces espaces in(dé)finis, inexplorés – est-ce cela, le symbolisme ? – que Debussy a créé pour Pelléas et Mélisande, et où tant d'autres chefs, cherchant la lumière aux dépends des ténèbres, se sont égarés.
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Opéra Comique - Salle Favart, Paris Le 23/02/2014 Mehdi MAHDAVI |
| Reprise de Pelléas et Mélisande de Debussy dans la mise en scène de Stéphane Braunschweig, sous la direction de Louis Langrée à l'Opéra Comique, Paris. | Claude Debussy (1862-1918)
Pelléas et Mélisande, drame lyrique en cinq actes (1902)
Livret du compositeur d’après la pièce de Maurice Maeterlinck
accentus
Orchestre des Champs-Élysées
direction : Louis Langrée
mise en scène et décors : Stéphane Braunschweig
costumes : Thibault Vancraenenbroeck
Ă©clairages : Marion Hewlett
dramaturge : Anne-Françoise Benhamou
préparation des chœurs : Léo Warynski
Avec :
Phillip Addis (Pelléas), Karen Vourc’h (Mélisande), Laurent Alvaro (Golaud), Jérôme Varnier (Arkel), Sylvie Brunet-Grupposo (Geneviève), Dima Bawab (Yniold), Luc Bertin-Hugault (un Médecin / le Berger). | |
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