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CRITIQUES DE CONCERTS 25 avril 2024

Première à l'Opéra national de Bordeaux des Indes Galantes de Rameau dans la mise en scène de Laura Scozzi, sous la direction de Christophe Rousset.

Des Indes lucides et facétieuses
© Frédéric Desmesure

Des hommes et femmes nus batifolent dans un paradis perdu d'avant la chute. En passant du Capitole de Toulouse à l'écrin idéal qu'est le Grand Théâtre de Bordeaux, les Indes galantes revues et déjantées par Laura Scozzi n'ont rien perdu de leur rafraîchissante lucidité. Ramistes avisés, Christophe Rousset et ses Talens Lyriques mènent toujours la danse.
 

Grand-Théâtre, Bordeaux
Le 01/03/2014
Mehdi MAHDAVI
 



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    Étrennée en mai 2012 au Capitole de Toulouse, sa production des Indes galantes a pourtant de quoi hérisser le poil des tenants de la pseudo-reconstitution historique ou assimilée, ainsi que de la frange la plus conservatrice du public, qui n'a d'ailleurs pas manqué d'exprimer sa désapprobation, tant à l'entracte qu'à l'issue de la dernière représentation de cette reprise à l'Opéra de Bordeaux.

    Eh bien franchement, et au risque de nous les mettre à dos, tant pis pour eux ! Altermondialiste, écoresponsable, féministe, peace and love en somme, la metteur en scène italienne enfonce des portes ouvertes, accumule les clichés, fait tout ce qui sur une scène d'opéra, et dans le meilleur des cas, nous inspire la plus vive indifférence. Sans jamais prendre la pose pourtant, et avec quel brio ! Car son regard lucide et accusateur est d'abord malicieux – et peut-être même plus aiguisé que celui de son complice Laurent Pelly, pour qui elle signa les mémorables chorégraphies de Platée, la Belle Hélène, et quelques autres loufoqueries.

    Voici donc onze danseurs batifolant en tenue d'Ève et d'Adam, à l'état de nature donc – car pourquoi faudrait-il toujours opposer Rousseau et Rameau ? –, dans cet Éden perdu que l'on aurait hâte, en les voyant, de retrouver. Mais Bellone, fort virile pour une déesse, même martiale, vient mettre fin à l'insouciance. La plaisir attendra, ce temps est celui de la guerre. Mais l'Amour veille, qui envoie ses archers – irrésistible trio – répandre leurs flèches aux quatre coins du monde… à bord d'un Airbus A380.

    Turquie, Pérou, Perse et Amérique, partout l'homme se livre à des trafics, piétine ses semblables, ou la nature. Cupide, violent, fanfaron et flagorneur : que sommes-nous devenus, broyés par un système qui, à tous les âges de la vie, nous rend esclaves du marketing globalisé ? Retour donc à la case départ – ah ! mais si seulement... Pas un instant, le fil conducteur ne rompt, le rythme ne fléchit, et la démonstration n'empiète sur un sens du décalage follement réjouissant, qui pousse à prendre avec la lettre du livret de Fuzelier des libertés impertinentes, sans pour autant subvertir l'esprit des Indes galantes. Car on peut être une pasionaria et avoir un humour décapant.

    Dans la fosse, les Talens Lyriques continuent sur la lancée d'un hiver sans répit, qui les voit enchaîner avec une rigueur et une virtuosité jamais prises en défaut Monteverdi, Haendel et Rameau sous le geste digital et cursif de Christophe Rousset. Son énergie crépitante, qui refuse l'ostentation dont certains, pourtant spécialistes éminents ou réputés tels, ont fait, aux dépens du style, une fin en soi, achève de libérer couleurs et carrures rythmiques dans la danse du Grand Calumet de la Paix.

    Par rapport à Toulouse, la distribution n'a été qu'en partie renouvelée. Il faut donc supporter, même le temps d'une seule entrée chacun, l'inconsistance de Vittorio Prato, Osman dont l'unique mérite tient à un physique avantageux, puis les vociférations de Nathan Berg, Huascar saisissant de vérité en narcotrafiquant, mais qui oublie qu'il doit chanter un minimum. Trop brèves, et tardives, sont en revanche les apparitions de Thomas Dolié, qui en Adario donne à l'ensemble du plateau une leçon de projection – des mots, pénétrants, et du timbre, éclatant.

    On a suffisamment loué l'onctuosité de Benoît Arnould en d'autres circonstances pour regretter qu'il ne sorte pas enfin de ses gonds, dans Bellone sans doute plus que dans Alvar. D'autant que face aux sauvages, Anders J. Dahlin exhibe un aplomb confondant malgré une étoffe peu amène, dont son quadruple rôle d'amant se satisfait cependant mieux que les héros de tragédies lyriques, qui s'y sont plus d'une fois trouvés à l'étroit.

    Si Judith van Wanroij réitère ses Émilie et Atalide avec la juste dose de piquant nécessaire pour relever son soprano galbé, la grossesse avancée d'Eugénie Warnier la prive – et nous avec – d'Amour et de Zima. C'est fort dommage, car cette Roxane a bien des charmes. Mais Olivera Topalovic joue mieux que les remplaçantes, un rien floue d'intonation, mais agile et pimpante. Petite merveille enfin qu'Amel Brahim-Djelloul, Hébé, Phani et Fatime de source chatoyante, délicate et non pas frêle comme elle a pu l'être ailleurs. Ne serait-ce pas aussi parce que le Grand Théâtre de Bordeaux est le plus parfait écrin pour les opéras de Rameau ? Il paraît qu'un Dardanus s'y prépare. Mais chut, c'est un secret !




    Grand-Théâtre, Bordeaux
    Le 01/03/2014
    Mehdi MAHDAVI

    Première à l'Opéra national de Bordeaux des Indes Galantes de Rameau dans la mise en scène de Laura Scozzi, sous la direction de Christophe Rousset.
    Jean-Philippe Rameau (1683-1764)
    Les Indes galantes, opéra-ballet en un prologue et quatre entrées (1735)
    Version dite de Toulouse
    Livret de Louis Fuzelier

    Chœur de l'Opéra national de Bordeaux
    Les Talens Lyriques
    direction : Christophe Rousset
    mise en scène et chorégraphie : Laura Scozzi
    décor : Natacha Leguen de Kerneizon
    costumes : Jean-Jaques Delmotte
    éclairages : Ludovic Bouaud
    vidéo : Stéphane Broc
    préparation du chœur : Alexandre Martin

    Avec :
    Amel Brahim-Djelloul (Hébé, Phani, Fatime), Benoît Arnould (Bellone, Alvar), Olivera Topalovic (Amour, Zima), Judith van Wanroij (Émilie, Atalide), Vittorio Prato (Osman), Anders J. Dahlin (Valère, Carlos, Tacmas, Damon), Nathan Berg (Huascar), Eugénie Warnier (Roxane), Thomas Dolié (Adario).

     


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