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CRITIQUES DE CONCERTS |
11 décembre 2024 |
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Première à l'Opéra Comique de Platée de Rameau dans la mise en scène de Robert Carsen et sous la direction de Paul Agnew.
La nymphe s'habille en Chanel
Il fallait donc que Platée rejoigne Armide et Alcina dans la grande galerie des suicidées baroques de Robert Carsen. Rôdée le mois dernier au Theater an der Wien, la nouvelle production de l’Opéra Comique vaut moins pour une mise en scène victime de la mode que pour le passage de témoin entre un William Christie convalescent et Paul Agnew, nymphe des marais devenue chef.
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Platée, nous l’avons apprise avec Marc Minkowski. Avant d’en savourer le piquant si précieusement français sous la direction de Christophe Rousset, puis les goûts réunis par René Jacobs, sans oublier un détour par la case Malgoire. Si le ballet bouffon de Rameau n’a donc rien d'une rareté, il était grand temps que William Christie s'aventure dans le marais profond où la naïade ridicule lui tendait les bras depuis si longtemps.
Mais le sort s'en est mêlé, envoyant le fondateur des Arts Florissants entre les mains de la médecine – dixit Jérôme Deschamps, au cours de son fervent hommage à l'éminent convalescent, trônant à la corbeille tel un monarque privé de son sceptre. Regrettons pour la forme ce rendez-vous manqué. Et réjouissons-nous de trouver au pupitre le très excellent Paul Agnew, chef associé récemment élevé au rang de directeur musical adjoint de l'ensemble.
Car cette partition, le ténor britannique la connaît mieux que nul autre et, si l'on ose dire, de l’intérieur, pour avoir régné à tant de reprises sur l’humide empire bâti par Laurent Pelly et Marc Minkowski. Son interprétation ne porte cependant pas la trace des effets parfois appuyés du chef français. Moins profus que les Musiciens du Louvre, l’orchestre fait cependant montre d’une palette plus variée, si naturellement en phase avec ce geste net et élégant, dont le rebond vif autant que subtil n'oublie jamais que, pour être comique, Platée n’en est pas moins aimable.
Qui plus est lorsque son style, sa langue sonnent avec une telle évidence. Les réserves techniques qu’inspirent Cyril Auvity et Marc Mauillon pèsent ainsi d'autant moins sur Thespis et Momus au prologue, puis sur Mercure et Cithéron, que l’un et l'autre font triompher l'esprit de la satire par le mordant de la diction. C’est à Clarine qu’il revient de distiller quelques grammes de douceur dans ce monde cruel, par la pulpe lumineuse d’Emmanuelle de Negri. Mais Edwin Crossley-Mercer a beau exhiber l’instrument le plus somptueux du plateau – bien que dépourvu des graves qui siéent à Jupiter tonnant –, il n’en fait rien, ou du moins si peu.
Quant à Simone Kermes, sa Folie fait un flop. Tant dans les langueurs d’Apollon, où l’Allemande, qui a semble-t-il beaucoup écouté Mireille Delunsch, n’en a ni la causticité loufoque, ni surtout la singularité vocale, que dans ces Plaisirs badins qu’elle tente en vain de plier à ce murmure plus exsangue que diaphane, dont l’intonation fluctue inexorablement. Mystérieux cas d'espèce, la barock star autoproclamée prouve finalement qu’elle n’est pas plus Marie Fel que Francesca Cuzzoni ou Farinelli, mais bel et bien une imposture.
Quelques minutes sont nécessaires pour que l’oreille, qui n’en espérait pas non plus des merveilles de suavité, apprivoise le timbre coassant de Marcel Beekman, nouveau venu dans le cercle restreint des hautes-contre à la française. Toutefois, et hormis sa tendance à abuser d’un fausset déviant, la performance du chanteur impressionne non moins que celle, troublante, de l’acteur, ne serait-ce que grâce au panache avec lequel il assume les pièges de la tessiture, qui font de la nymphe crédule bien plus qu’un rôle de caractère.
Mais qui est-elle au juste ? Non pas une grenouille. Sans doute alors une ménagère de plus ou moins de cinquante ans, à laquelle une Smartbox aurait vendu du rêve, en l’occurrence un soin dans le spa d’un grand palace parisien. Et la voici qui débarque en tongs, une serviette autour de la poitrine et le visage recouvert d'un masque verdâtre, au milieu des modeux et modasses avides des diktats des rédactrices reines, j’ai nommé Anna Wintour et Suzy Menkes, à leur tour soumises au dieu Karl himself, époux de Junon Chanel depuis trois décennies…
Fort de ces correspondances imparables entre l’Antiquité, le XVIIIe et notre époque déculturée, Robert Carsen tire le fil avec son habituel savoir-faire, à l’abri des bifurcations qui lui permettraient, peut-être, de quitter la surface à laquelle sa suractivité le cantonne. Si le prologue et le I amusent, le II lasse, déguisé en fashion show sous la férule de Folie Gaga, et le III ennuie, dont la chaconne tourne, ô surprise, à la partouze porno chic : trois filles, trois garçons, et toutes les paires possibles, histoire d'être consensuel jusqu’au bout – est-ce là ce qui vaut au spectacle d'être déconseillé au moins de douze ans sur le site Internet de l’Opéra Comique ?
On est loin, certes, de l’esthétique de toiles peintes en vigueur sur cette scène – quoique moins cette saison. Mais enfin, où est l’audace ? Car n’en déplaise à ceux qui ne verront jamais en lui qu’un dangereux apparatchik du Regietheater, Platée est un sujet, un personnage pour Marthaler !
Prochaines représentations les 24, 25, 27 et 30 mars
Diffusion en direct sur Mezzo le 27 mars
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Opéra Comique - Salle Favart, Paris Le 20/03/2014 Mehdi MAHDAVI |
| Première à l'Opéra Comique de Platée de Rameau dans la mise en scène de Robert Carsen et sous la direction de Paul Agnew. | Jean-Philippe Rameau (1683-1764)
Platée, comédie lyrique en un prologue et trois actes (1745)
Livret d’Adrien-Joseph Le Valois d’Orville d’après la pièce de Jacques Autreau
Les Arts Florissants
direction : Paul Agnew
mise en scène : Robert Carsen
décors et costumes : Gideon Davey
chorégraphie : Nicolas Paul
Ă©clairages : Robert Carsen et Peter van Praet
dramaturgie : Ian Burton
Avec :
João Fernandes (Satyre / Mommuss), Cyril Auvity (Thespis / Mercure), Virginie Thomas (Thalie), Marc Mauillon (Momus / Cithéron), Emmanuelle de Negri (Amour / Clarine), Marcel Beekman (Platée), Edwin Crossley-Mercer (Jupiter), Simone Kermes (la Folie), Émilie Renard (Junon). | |
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