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CRITIQUES DE CONCERTS |
04 octobre 2024 |
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Création française d’Into the Woods de Stephen Sondheim dans une mise en scène de Lee Blakeley et sous la direction de David Charles Abell au Théâtre du Châtelet, Paris.
Promenons-nous dans les bois ?
Il était une… mais non, deux, trois, et même quatre fois ! Après A Little Night Music, Sweeney Todd et Sunday in the Park with George, le Châtelet assure la création française d’Into the Woods, le musical en forme de détournement de conte de fées de Stephen Sondheim. Au cœur des ténèbres sylvestres de notre enfance, la mise en scène de Lee Blakeley reste sage comme une image.
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Dans l'élan de Sunday in the Park with George (1984), créé en France la saison passée dans le prestigieux giron du Châtelet, Stephen Sondheim et James Lapine décidèrent de renouer avec une approche plus traditionnelle, et donc plus ouvertement divertissante, du musical. C’est que la pièce inspirée de l'œuvre de Georges Seurat, d'ailleurs destinée à l'off-Broadway, se prenait trop au sérieux pour ne pas en avoir l'air – sans pour autant légitimer son appartenance à l’avant-garde, du moins aux yeux d'un public européen.
Un constat symétrique s'impose plus généralement à l’égard de la musique du compositeur et lyricist : trop accessible pour paraître recherchée, mais trop savante pour être taxée de simplisme et de facilité. Immédiatement reconnaissable en tout cas, par cette signature rythmique et thématique, plutôt que mélodique, qui confère à une forme qui pourrait se limiter à une succession de numéros, son inclassable unité.
Parce que son intrigue emprunte ses personnages, ses ressorts, son décor aux contes de notre enfance, Into the Woods peut se prêter à tous les délires exégétiques, et d'abord psychanalytiques. Mais plutôt que d’invoquer les mânes de Bruno Bettelheim, les auteurs se réclament de l'inconscient collectif formulé par Carl Gustav Jung – de même qu'ils ont préféré puiser à la source des frères Grimm plutôt que de Perrault.
Au I, l'intrication des trames narratives de Cendrillon, Raiponce, Jack et le Haricot magique et du Petit Chaperon rouge dans le cadre plus large et inédit, quoiqu'imprégné d'évidentes réminiscences, de l'histoire du Boulanger et son épouse, aboutit à une conclusion classique et attendue : tout est bien qui finit bien, ils se marièrent, eurent beaucoup d'enfants, et vécurent heureux – ever after, comme on l’ajoute en anglais...
Mais que peut-il bien se passer après ? C'est la question que posent Sondheim et Lapine avec un sens aigu de l'inquiétante étrangeté chère au Docteur Freud – auquel le narrateur emprunte assez vaguement ses traits pour entretenir le doute sur son identité ! Animés de nouveaux désirs, les protagonistes retournent dans la forêt dévastée par la soif de vengeance de la Géante vis-à -vis du responsable de la mort de son mari.
La morale qui découle de cette deuxième partie renvoie ainsi notre société moderne et individualiste aux conséquences de ses actes : No One Is Alone, les sorcières peuvent avoir raison, les géants peuvent être bons, et ce qui nous est profitable ne l'est pas nécessairement à notre prochain, surtout quand nous l'obtenons à ses dépends…
S'ils sont bien liés au concept d’Unheimliche, les plaisirs que procurent Into the Woods tiennent surtout aux détournements parodiques de figures et de situations familières – deux princes moins charmants que fats au lieu d'un, un Petit Chaperon rouge boulimique… –, que la magie édulcorante de Disney a souvent métamorphosés en clichés. En somme, le musical de Sondheim et Lapine mène directement à Shrek, tétralogie déjantée du studio d'animation DreamWorks. Impossible, dès lors, de mettre en scène un tel second degré au... premier degré.
Pourtant, si les bois ténébreux imaginés par Alex Eales sont superbes, les costumes de Mark Bouman ne prennent pas suffisamment de distance ironique par rapport aux images d'Épinal. Quant à Lee Blakeley, il ne retrouve pas l'inspiration de A Little Night Music et Sweeney Todd, masquée dans Sunday in the Park with George par les miracles d’une scénographie générée par ordinateur. Comme si, devenue trop sage, Alice n'osait plus suivre le lapin blanc dans son terrier, et n'atterrissait jamais au pays des merveilles. De quoi regretter que Nicolas Buffe, dont l'imaginaire foutraque et surchargé de références dynamitait l'Orlando paladino de Haydn sur la même scène, n'ait signé que l'affiche du spectacle !
Efficace, et servie avec esprit par David Charles Abell, l'orchestration de Jonathan Tunick ne pèse en revanche jamais sur les songs comme celle de Michael Starobin dans Sunday. Parmi une distribution inégalement partagée entre chanteurs d’opéra et du West End, se détachent, plus que la Femme du Boulanger de Christine Buffle, qui hésite justement trop sur la voix à prendre, et sans qu’aucun de ces messieurs ne démérite, la Cendrillon sensible de Kimy McLaren, le Petit Chaperon rouge tête à claques de Francesca Jackson et, last but not least, la Sorcière au timbre horrifique, mais à l’abattage irrésistible de Beverley Klein.
Mention spéciale, enfin, pour Rebecca de Pont Davies, qui décidément, et d’un physique qui évoque fugacement Tilda Swinton, sait tout faire, à commencer par émouvoir dans le rôle pourtant revêche de la Mère de Jack.
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Théatre du Châtelet, Paris Le 02/04/2014 Mehdi MAHDAVI |
| Création française d’Into the Woods de Stephen Sondheim dans une mise en scène de Lee Blakeley et sous la direction de David Charles Abell au Théâtre du Châtelet, Paris. | Stephen Sondheim (*1930)
Into the Woods, musical en deux actes (1987)
Livret de James Lapine
Orchestration de Jonathan Tunick
Orchestre de Chambre de Paris
direction : David Charles Abell
mise en scène : Lee Blakeley
décors : Alex Eales
costumes : Mark Bouman
chorégraphie : Lorena Randi
Ă©clairages : Oliver Fenwick
conception et réalisation des marionnettes : Max Humphries
Avec :
Kimy McLaren (Cinderella), Leslie Clack (Narrator, Mysterious Man), Nicholas Garrett (Baker), Christine Buffle (Baker’s Wife), Beverley Klein (Witch), Pascal Charbonneau (Jack), Damian Thantrey (Cinderella’s Prince, Wolf II), David Curry (Rapunzel’s Prince), Jonathan Gunthorpe (Steward), Francesca Jackson (Little Red Ridinghood), Rebecca de Pont Davies (Jack’s Mother), Louis Alder (Rapunzel), Elisa Doughty (Florinda), Lucy Page (Lucinda), Scott Emerson (Cinderella’s Father), Kate Combault (Cinderella’s Mother, Granny), Jasmine Roy (Cinderella’s Stepmother), Cecilia Proteau (Sleeping Beauty), Dorine Cochenet (Snow White), Fanny Ardant (Giant’s voice), Valentin Johner et Claire Vialon (Milky-White). | |
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