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CRITIQUES DE CONCERTS |
12 octobre 2024 |
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Nouvelle production de Siegfried de Wagner dans une mise en scène de Dieter Dorn et sous la direction d’Ingo Metzmacher au Grand Théâtre de Genève.
Ring Genève (3) :
Un vrai Siegfried de conte
Si le troisième volet du nouveau Ring du Grand Théâtre de Genève s’avère sagement efficace quant à une partie scénique lorgnant sans complexe vers le conte, les options de la direction d’Ingo Metzmacher continuent à impressionner par leur cohérence, menant un plateau tout à fait équilibré où la Brünnhilde de Petra Lang arrive à maturité en splendeur.
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Là où tant de Ring voient leur conception s’effriter au fur et à mesure des quatre journées, après un Or du Rhin stimulant et une Walkyrie limpide, Dieter Dorn maintient son rythme de croisière dans ce Siegfried ne se détournant jamais du mythe, toujours évocateur dans son visuel, même si la direction d’acteurs aurait tendance à s’y faire un peu moins attentive au sous-texte.
Et pourtant, on croit à chaque instant à cette Deuxième Journée nappée de fumées chéraldiennes enveloppantes au cœur d’une forêt étrange, articulée de l’intérieur par une vingtaine de figurants non dissimulés, univers aux racines inquiétantes, monde de forge, d’ours et d’ombre des tilleuls parfaitement crédible sur lequel Dorn a choisi de ne pas faire l’impasse.
Des profondeurs d’Erda où le Wanderer sera tenté de se laisser engloutir au rocher de Brünnhilde et ses astucieux miroirs en passant par le rideau de feu ou encore la trogne monstrueuse de Fafner façon Méliès, l’univers de Siegfried est là tout entier, avec ici la magie d’un ballet d’oiseaux marionnettes multicolores du plus bel effet, et toujours ce Grane miniature articulé tellement expressif.
Si l’on peut déplorer un épisode des énigmes statique, une scène de la forge un peu convenue pour qui connaît Chéreau ou Kupfer, comment ne pas s’attarder sur la relation entre Siegfried et son précepteur, touchant de dévotion mal récompensée avec ses peluches, ce jeune héros suant comme un diable au moment d’embrasser sa promise, ou ce chapeau du Wanderer abandonné à l’avant-scène une fois le dieu vaincu, figure tutélaire envahissante jusqu’après disparition ?
Et comme la musique est d’une homogénéité rare, on se laisse porter à chaque minute. Belle découverte que le Siegfried de John Daszak, aussi clair que l’était son Siegmund de père à la journée précédente, émission naturelle cent pour cent ténor, d’une qualité d’allègement, de finesse dans les piani, d’une franchise d’élocution seulement altérées par des imprécisions d’allemand trahissant des origines britanniques.
Largement annoncé dans Rheingold, le Mime d’Andreas Conrad fait des étincelles, glapissant à souhait, maniaque de texte et virtuose des mots et des rythmes, insupportable et touchant à la fois, juste un peu limité quant à la synchronisation avec la fosse pour se hisser à la hauteur des tout meilleurs.
Prenant la suite de Tom Fox dans les deux premiers volets, Tómas Tómasson affiche un vrai matériau de roi des Dieux, large, puissant et autoritaire, avec le troisième registre bétonné requis pour ce volet, vocalement le plus tendu. Si l’on n’est pas renversé par une incarnation assez limitée et par une émission très irrégulière, force est de reconnaître qu’un Wanderer aussi en voix reste une rareté.
Seule ombre au tableau, l’Erda tout en imprécision des voyelles et d’une couleur indéfinissable de Maria Radner, car en Oiseau de la forêt, Regula Mühlemann renvoie aux plus belles années des sopranos légers viennois, tandis que le Fafner light de Steven Humes parvient à émouvoir dans son agonie, et que John Lundgren marche en Alberich sur les pas de rien moins que Gustav Neidlinger, émission noire, mordante et cuivrée qui en remontrerait au Wanderer.
Mais la vraie consécration sera pour Petra Lang, qui en vaillante mezzo affronte la tessiture la plus perchée des trois Brünnhilde avec une facilité qui laisse pantois. Riche d’un timbre tout en moirures, en sortilèges d’ambivalence, l’Allemande livre un réveil d’une plénitude absolue, longueur de souffle intarissable, projection idéale et aigu souverain – les deux contre-ut, impeccables –, liquidité des consonnes et radiance du matériau, avec une émotivité à fleur de timbre constante.
En fosse, Ingo Metzmacher ne renie rien de sa volonté d’allègement et de chambrisme, de travail sur la richesse des textures – une variété de jeux stupéfiante pour accompagner les ruminations de Mime –, et propose la balance plateau-orchestre la plus équilibrée qu’on ait entendue, jamais un chanteur contraint à pousser la moindre note, à la tête d’un Orchestre de la Suisse romande bien sonnant comme rarement.
Un Wagner dégraissé et pourtant presque dans les tempi de la tradition – le prélude du III, très assis, où chaque cavalcade de cordes est soigneusement détaillée –, avec le luxe d’une vraie spiritualité à l’ancienne dans toute la scène finale, magnifique legato des volutes et caprices des variations atmosphériques conformes à l’état émotionnel de la Walkyrie parfaitement déboussolée.
Critiques des journées précédentes :
Das Rheingold
Die WalkĂĽre
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