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CRITIQUES DE CONCERTS |
11 décembre 2024 |
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Nouvelle production du Balcon d’Eötvös dans une mise en scène de Damien Bigourdan et sous la direction de Maxime Pascal au Théâtre de l’Athénée, Paris.
Triomphe d’une génération
Sur le fascinant opéra de Peter Eötvös, l'ensemble éponyme Le Balcon signe un formidable spectacle, d'une beauté époustouflante, profitant de l'excellence de la troupe tant orchestrale que vocale, tous transcendés par une irrésistible énergie collective. Avec un âge global de trente ans, c'est le triomphe de toute une génération.
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Il y a parfois des avantages à venir aux dernières représentations d'un spectacle. Les artistes sont délestés des craintes de la première, et l'expérience aidant, font corps intimement avec leurs partitions. Les échos de la création du Balcon d'Eötvös par l'ensemble éponyme Le Balcon bruissaient déjà d'une énergie formidable ; sans présager de rien, nul doute que cette ultime représentation au Théâtre de l'Athénée était de loin la meilleure, et offrait une soirée quasiment historique.
Il n'y avait qu'à observer l'ambiance au moment des saluts à la fin du spectacle, qui se terminait par une véritable fête sur la scène, aux sons samba de la célèbre chanson Brazil d'Ary Barroso. Des techniciens aux chanteurs, en passant par le chef Maxime Pascal au déhanchement très groovy, tout le monde dansait dans une incroyable communion pour célébrer la fin d'une belle aventure.
Le spectacle de l'opéra d'Eötvös commençait dès l'entrée dans la salle avec le magnifique rideau de scène clignotant, et les musiciens encagoulés dans la fosse, qui s'entraînaient à la manière d'un bœuf improvisé. Le Balcon, basé sur la pièce de Jean Genet, est le deuxième opéra d'Eötvös, consécutif au triomphe à Lyon de son premier opéra, Trois sœurs. L'œuvre avait dérouté à sa création au festival d'Aix en 2002, en raison d'une mise en scène raide et morose de Stanlislas Nordey. Avec cette nouvelle mise en scène explosive due à Damien Bigourdan, l'ouvrage se refait une deuxième jeunesse.
On redoute dans un premier temps l'absence de surtitrage, rendant quasiment incompréhensibles les passages chantés, notamment féminins, en dépit d'une application à la prosodie et d'une généreuse sonorisation de tous les participants, musiciens comme chanteurs.
Mais en réalité, l'attention flottante créée par l'absence de surtitrage a l'avantage d'offrir une sensation d'improvisation inouïe à l'intérieur de chaque scène et de souligner, rehaussé par un fort parfum de système D, la beauté des costumes, des lumières et de la scénographie (le jeune scénographe Mathieu Crescence est à coup sûr, l'un des grands noms à retenir pour l'opéra de demain) dans une forme de grand happening théâtral et musical où tout peut arriver.
L'absence de compréhension totale permet également de délester la pièce originelle de Jean Genet de tous ses aspects un peu démodés pour ne garder que l'essentiel : le jeu des masques identitaires et des relations infernales entre sexe, pouvoir et oppression dans un monde vu comme un grand bordel.
La musique d'Eötvös fait mieux qu'illustrer le matériau théâtral : elle capte ce que les personnages ont d'humanité dans un brillant mélange musical, qui oscille, sans courir le risque du patchwork, entre harmonies orchestrales très françaises, cuivres et percussions jazz, cabaret qui n'a rien de viennois mais rappelle plutôt la clarté d'un Stravinski ou des rythmes magyars.
Mais le grand triomphateur, outre l'ensemble Le Balcon et le chef Maxime Pascal, maître d'œuvre fondamental de tout le collectif, s'avère la distribution vocale. On les avait repérés ici ou là , ces jeunes chanteurs, auteurs de formidables débuts de carrière. Ils donnent non seulement ici le meilleur d'eux-mêmes, mais endossent leurs rôles irradiés par cette énergie générale.
De Florent Baffi à Élise Chauvin en passant par Guillaume Andrieux ou Patrick Kabongo, l'adhésion aux rôles impressionne, sans parler du contre-ténor Rodrigo Ferreira qui livre ici la performance de sa vie, en madame Irma, incroyablement sexy et bouleversante dans une scène finale proprement renversante.
On ne peut que se réjouir qu'une troupe de jeunes musiciens (nombreux sont ceux à avoir moins de trente ans) parvienne déjà à une sorte de maturité, qui décloisonne de beaucoup le milieu musical français, trop engoncé dans le respect du style et l'esprit de sérieux.
Ces jeunes artistes ont pris des musiques pop et rock, l'énergie et la solidarité sans renoncer à la profondeur ni au respect du texte de leur éducation classique. Des musiciens d'orchestre aux chanteurs et à l'équipe technique, ils font passer un formidable coup de jeunesse et reformulent l'idéal d'une collectivité dynamique et créative. C'est le triomphe de toute une génération.
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