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CRITIQUES DE CONCERTS 11 octobre 2024

Récital de Nelson Freire dans la série Piano**** à la salle Pleyel, Paris.

Le piano polychrome

Depuis quelques saisons déjà à la salle Pleyel, Nelson Freire nous surprend par la beauté de ses programmes et celle de ses interprétations. Un moment rare de la série Piano**** consacré à Beethoven, Chopin, Debussy et Rachmaninov qui fait oublier une technique – imparable – et invite à la contemplation. Pour le plaisir des oreilles, mais pas seulement…
 

Salle Pleyel, Paris
Le 26/05/2014
Florent ALBRECHT
 



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  • Chacun des rĂ©citals du pianiste brĂ©silien est un Ă©vĂ©nement. La raison n’en est certainement pas une carrière explosĂ©e tardivement, Ă  la manière d’un Claudio Arrau, suscitant gourmandise et convoitise du public. Nelson Freire, avec Martha Argerich, constitue l’un des derniers mythes du piano, pour qui recherche ce son et ce sang latins maturĂ©s Ă  l’école europĂ©enne.

    On pourrait plagier Baudelaire ou même reprendre l’emprunt debussyste ici, en affirmant qu’avec ce musicien les sons et les parfums tournent dans l’air du soir… Ce serait aussi omettre ce vrai don de coloriste chez lui, qui compose des programmes comme autant de grands aplats de couleurs vives ou tendres, étincelantes ou mordorées, originaux et classiques à la fois.

    Des bleus doux et profonds de Beethoven, dont les multiples visages apparaissent ici entre la testamentaire Sonate op. 111 et le si subtil Andante favori, aux impressionnistes pastels des trois pièces de Debussy choisies avec justesse par le musicien, jusqu’aux teintes delacrucistes, sensibles et engagées, de Chopin, le récital de Nelson Freire ne se savoure pas seulement en tant qu’auditeur.

    Et la salle Pleyel de se transformer en musée sonore, en atelier-galerie de peintre-musicien. Cela est si vrai que le pianiste choisit d’ajouter en deuxième partie, sans que le programme ne l’indique pourtant, deux préludes de Rachmaninov bien placés, telles deux nouvelles touches de couleur délicates parachevant l’équilibre de l’ensemble.

    Cet art de la polychromie se retrouve dans le jeu du pianiste. D’emblée, avec cet Andante favori, la projection du son, l’intelligence du discours, la technique du musicien parfont cette fresque intime jusqu’à l’Opus 111. L’engagement du pianiste, la carrure qu’il insuffle à ces œuvres complexes sont impressionnants et nourrissent les orages du maître de Bonn en leur conférant à la fois mouvement et structure.

    On se rappelle dans la même sonate, il y a quelque temps, dans la même salle, Maurizio Pollini. Peut-être de manière plus convaincante, son deuxième mouvement interprété dans une direction plus intellectuelle et dépouillée accentuait le caractère mystique de cette Arietta qui fait se succéder le calme à la tempête, tel un Turner de la maturité où les paysages se figent dans un reflet d’éternité.

    Plus libre et instinctif dans les trois pièces de Debussy de seconde partie, Nelson Freire y déploie avec un plaisir apparent son art de la suggestion et croque cette musique impressionniste avec bonheur. En miroir, les deux préludes de Rachmaninov donnent envie d’entendre le pianiste davantage dans ce répertoire – son interprétation du Deuxième Concerto, pour qui l’a entendu il y a quelque temps, était déjà spectaculaire. On oublie une écriture supputée facile, une virtuosité réputée prédominante chez le compositeur pour écouter cette science des couleurs et de la narration du pianiste, et y ressentir la noirceur d’une fiction de Gogol ou de Dostoïevski.

    Freire est aujourd’hui l’un des grands interprètes de Chopin. Avec ces trois pièces de la maturité du compositeur, toutes écrites en 1842-1843, au caractère fort différent, c’est tout son univers qu’on y entend : drame de l’intime, héroïsme, développements musicaux virtuoses constituent des pierres angulaires autour desquelles s’articule la vision du musicien à l’expression si noble, et qui ne cède jamais aux sirènes de la technique facile ni à celles du show off.

    Ses bis, notamment le Warum ? de l’Opus 12 de Schumann, sont un enchantement d’expressivité et l’on se dit décidément que Nelson Freire, s’il ne s’y adonne déjà, devrait aussi se mettre à la peinture…




    Salle Pleyel, Paris
    Le 26/05/2014
    Florent ALBRECHT

    Récital de Nelson Freire dans la série Piano**** à la salle Pleyel, Paris.
    Ludwig van Beethoven (1770-1827)
    Andante Favori Wo057
    Sonate pour piano n° 32 et ut mineur op. 111
    Claude Debussy (1862-1918)
    Les Collines d’Anacapri
    Soirée dans Grenade
    Poissons d’or
    Sergei Rachmaninov (1873-1943)
    Préludes op. 32 n° 10 et 12
    Frédéric Chopin (1810-1849)
    Ballade n° 4 op. 52
    Berceuse op. 57
    Polonaise héroïque op. 53
    Nelson Freire, piano

     


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