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CRITIQUES DE CONCERTS |
13 octobre 2024 |
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Nouvelle production de Simon Boccanegra de Verdi dans une mise en scène de David Bösch et sous la direction de Daniele Rustioni à l’Opéra de Lyon.
Boccanegra dans la tempĂŞte
Un vent de révolte soufflait ce dimanche à l’Opéra de Lyon pour l’ultime représentation de la saison, dévolue au Simon Boccanegra de Verdi. Après la grogne intelligente des intermittents de la maison, plus que la mise en scène de David Bösch, c’est la baguette de Daniele Rustioni qui aura déclenché les tempêtes à l’Opéra Nouvel.
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Démonstration des bienfaits d’une certaine pédagogie positive pour commencer : lâchés par une gauche incapable de distinguer ses amis de ses adversaires, les intermittents du spectacle de l’Opéra de Lyon, plutôt que de mettre en péril l’ultime représentation de la saison, opèrent avant le lever de rideau une mise au point intelligente et concrète sur la réforme que le Medef cherche à faire passer en force.
Grâce soit rendue à ces techniciens et artistes qui iront jusqu’à applaudir le public en une haie d’honneur à la sortie du spectacle, preuve que sens des responsabilités et contestation peuvent faire bon ménage. À charge à la partie d’en face, sourde et aveugle jusqu’alors, de faire le nécessaire pour qu’on n’en arrive pas aux blocages de 2003. Parenthèse close.
Le vrai climat de tempête, la tension des affrontements, des trahisons, des mauvais coups machiavéliques fomentés dans la dramaturgie de Simon Boccanegra, on ne les trouvera que sporadiquement dans la mise en scène de David Bösch, très belle scénographie de vaisseau fantôme, qui une fois retourné, fera office de décor unique très sombre, entrepôt glauque, théâtre des conflits irréconciliables entre aristocrates et peuple de la République de Gênes.
La modernité restera cantonnée à une scénographie alourdie de fragments de bande dessinée évoquant le refus de grandir d’une Amelia dissimulée depuis sa naissance, car le metteur en scène allemand se contente pour le reste de suivre la voie toute tracée par Piave et Boïto, sans autre actualisation que la présence d’un revolver ou encore cette scène du Conseil où une palanquée d’éclopés montre combien l’équipe ayant porté Boccanegra au pouvoir laissait augurer de sombres heures à ce règne fantoche.
À l’épreuve de la scène, rien ne laisse deviner que Riccardo Zanellato est le seul transalpin du plateau, Fiesco solide mais sans éclat ni morgue de patricien, par trop effacé, basse dépourvue du brillant qu’on attend des voix italiennes. Moins séduisants encore de timbre, ce qui n’est pas rédhibitoire pour les plébéiens Paolo et Pietro, Ashley Holland, généreux en décibels sinon en une quelconque italianità , et Lukas Jakobski, caricature de voix de l’Est (ces sons immanquablement gros et tubés), ne laissent pas une grande empreinte.
Le Boccanegra d’Andrzej Dobber, lui, s’accepte d’un bloc, haute stature de doge tourmenté, veule et superbe à la fois dans sa détresse, au réel impact dramatique fruit d’une présence vocale qui est aussi sa limite. Car il faut supporter cette émission geignarde, chaque attaque émise trop bas et droit, cette couleur indéfinissable des voyelles, mais aussi une pâte vocale qui serait plus à sa place en Falstaff. Reste que le personnage est là , souvent captivant.
Quant à Ermonela Jaho, passé une entrée trémulante, voix légère cueillie à froid, elle corrige vite le tir pour donner le meilleur de ce qu’un matériau modeste en ampleur peut produire en Amelia : piani ineffables, incarnation tout en fraîcheur, en jeunesse, en fébrilité amoureuse, chant vibrant de sensibilité, avec le luxe d’aigus admirablement dardés dans le trio du II où elle éclipse l’excellent Gabriele de Pavel Cernoch, belle gueule, belle allure et ligne de chant à l’avenant, auquel ne manquerait qu’un timbre latin pour prétendre à l’adéquation parfaite. Complimenti a tutti e due !
Cette distribution au-dessus de la moyenne de ce qu’on entend à une époque où le chant verdien est plus sacrifié encore que le chant wagnérien, est surtout transcendée par le souffle de la battue de Daniele Rustioni, geste impérieux, intuitions géniales, prenant à la gorge dans les moments-clé – le piccolo du chœur de gloire à l’élection de Simon, porteur de sinistres présages inouïs – tout en se permettant de divines suspensions harmoniques, de suaves effluves au moment d’accompagner la prima donna dans sa rêverie marine.
Une découverte que cette baguette tout juste trentenaire, promise à un bel avenir dans un répertoire qui manque tant de maestros de cette trempe, de ces fulgurances toscaniniennes qui parviennent à mettre le feu à la dramaturgie souvent conventionnelle de Verdi. Il y a d’ailleurs longtemps qu’on n’avait entendu les forces de l’Opéra de Lyon, chœur et orchestre réunis, aussi investis et conscients des enjeux dramatiques.
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