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CRITIQUES DE CONCERTS |
07 octobre 2024 |
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Nouvelle production du Trouvère de Verdi dans une mise en scène d’Alvis Hermanis et sous la direction de Daniele Gatti au festival de Salzbourg 2014.
Salzbourg 2014 (5) :
Le Trouvère au musée
Domingo forfait, le nouveau Trouvère de Salzbourg perdait instantanément une bonne partie de son prestige. C’était sans compter sur un plateau excellent où brillent particulièrement les voix aiguës, malgré la direction sans colonne vertébrale de Daniele Gatti et une mise en scène d’Alvis Hermanis en forme de reniement esthétique.
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Fait pour le moins étonnant, ce n’est que la deuxième fois que le festival de Salzbourg, bientôt centenaire, programme le plus indistribuable des opéras de Verdi, le fameux Trovatore dont un Karajan incandescent avait conduit des soirées inoubliables en 1962 et 1963, à la tête d’une distribution impériale (Price, Corelli, Simionato, Bastianini).
En comparaison, on cherchera en vain une colonne vertébrale à la direction poseuse et désarticulée de Daniele Gatti, geste tantôt extatique, perdu dans des lenteurs mahlériennes, soignant à l’infini les passages aux limites du silence, tantôt frénétique, lançant comme à la cantonade un tempo fulgurant que l’orchestre met trois mesures à apprivoiser.
Trop de chichis pour cet opéra qui exige un maître à bord capable avant tout d’en propulser le drame sans temps mort. Le luxe des timbres viennois en fosse deviendrait presque superflu, même si l’on jubile à la manière dont les cordes lancent pizz et attaques au talon dans Di quella pira. Pour tout théâtre. Vergogna ! Mais si le maestro met parfois en péril la stabilité rythmique des accompagnements, il n’infléchit au moins pas l’art des voix, car on chante cet après-midi fort bien.
Anna Netrebko, en terrain conquis – elle en oublie que le ténor doit encore saluer après elle –, délivre une superbe Leonora. Passé une entrée en scène où la voix, surcouverte, et l’émission, pâteuse, font craindre le pire – mais il est 15h, horaire matutinal pour les chanteurs –, la soprano russe l’emporte sur tous les fronts : sûreté stylistique, morbidezza de la ligne (D’amor sull’ali rosee), médium assombri à la Sutherland, agilité des coloratures (duo avec Luna), aigus fins, d’une magnifique lumière, pianissimi à se pâmer.
Un triomphe qui n’éclipsera pas le Manrico du jeune Francesco Meli, trente-quatre ans, voix la plus idiomatique du plateau, insolente couleur latine, seule déclamation authentiquement italienne, médium riche et sonore, ligne mâle mais subtile, vigueur du chant en coulisse, auquel ne manquerait qu’un aigu plus éclatant – l’ut reste prudent – pour prétendre au spinto.
Pour Marie-Nicole Lemieux, Azucena était un défi, relevé avec panache. Le format n’a rien de colossal, mais la mezzo québécoise rappellerait Marilyn Horne en son temps, instrument rossinien employé au mieux, imprécations au vibrato rapide, sans les abîmes si grisants des graves, outre une tendance scénique à surjouer.
Saluons enfin le Comte de Luna du Polonais Artur Rusińcki, remplaçant au dĂ©boulĂ© un Plácido Domingo forfait pour les trois dernières reprĂ©sentations, dont on a droit au bulletin de santĂ© au dixième de degrĂ© de fièvre près. Le public, beau joueur, acclamera ce chanteur Ă la vraie couleur de baryton Verdi, couverture idĂ©ale, aigu brillant et superbe longueur de souffle, inespĂ©rĂ©s pour pareil sauvetage.
Si l’on ressort donc de ce Trouvère satisfait par le chant, on n’en dira pas tant de la mise en scène, qui donne l’impression d’avoir été trompé sur la marchandise. Il faut qu’on ait demandé à Alvis Hermanis, auteur de Soldats de Zimmermann et d’un Gawain de Birtwistle décapants in loco, de modérer ses ardeurs face au blockbuster de l’été salzbourgeois, car on est très loin des étincelles attendues.
On s’était pris à rêver que l’univers dystopique du metteur en scène letton, peuplé de créatures effrayantes, rongé de l’intérieur, où la violence est omniprésente, secoue une bonne fois pour toutes la tradition scénique plan-plan d’un ouvrage à la Scribe dont le livret évoque pourtant les pires atrocités.
Que nenni. L’action se déroule dans un musée, où tous les personnages à l’exception de Manrico apparaissent sous les traits de guides tellement investis par leur tâche et passionnés par les tableaux qu’ils racontent à un public contemporain qu’ils en viennent à se prendre pour les héros des toiles à la nuit tombée.
Expédient qui ne masque pas une direction d’acteurs académique, chacun jouant à être sans que cette mise en abyme, plutôt artificielle, n’interroge réellement la dramaturgie, simple caution de modernité. On passe donc la représentation à admirer les reproductions des plus belles toiles de la Renaissance sur des panneaux coulissants. Un manque d’audace, un art de la synthèse forcément décevant quand on sait de quoi est capable le metteur en scène.
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