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CRITIQUES DE CONCERTS |
15 septembre 2024 |
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Alcina n’en finit plus de séduire les cantatrices de tous horizons. Récemment, rien moins qu’Olga Peretyatko, Anja Harteros, Karina Gauvin, Cecilia Bartoli ont ainsi incarné la magicienne, en attendant, en 2015, les prises de rôle à venir de Patricia Petibon et de Sandrine Piau. Joyce DiDonato a pour sa part gravé le rôle au disque en 2007, après l’avoir présenté en concert à Poissy. Elle revient à Alcina pour une tournée qui se terminera en grande pompe dans quelques jours au prestigieux Carnegie Hall de New York.
Robe bustier Vivienne Westwood, cheveux décolorés et dressés à la mode punk, Joyce DiDonato annonce la couleur dès son entrée : son Alcina sera vindicative et toute en puissance. Même si la tessiture aigue du rôle la pousse parfois à se réfugier, lors des da capo notamment, dans des zones moins dangereuses (Mi restano le lagrime), la cantatrice est ce soir dans une forme vocale éblouissante. Difficile en effet ne pas succomber à ces trilles, à ces cadences effectuées sur le souffle, ou encore à cette présence inouïe dans les récitatifs. Difficile de ne pas être estomaqué par une chanteuse qui traverse les terribles difficultés des six arias d’Alcina sans broncher.
À trop vouloir impressionner, l’Alcina de Joyce DiDonato peine toutefois à bouleverser. Pourquoi tant de véhémence dès ce Di, cor moi d’entrée ? Pourquoi ne pas lâcher un peu prise dans Si son quella, alors que la mezzo est à deux doigts de nous faire pleurer ? Pourquoi surcharger ce Ah, mio cor de variations inutiles (et ce dès l’exposition), alors que la voix, à la différence de bien des titulaires du rôle, a tout pour émouvoir sans ces fioritures ? Alors qu’il y a quelques mois à Zurich, l’Alcina toute en fragilité de Cecilia Bartoli finissait le II à terre, les larmes aux yeux, celle de DiDonato reste debout, imperturbable et fière.
Face à une magicienne d’une telle présence, comme une torche vivante, comment exister ? En Ruggiero, Alice Coote séduit certes par un chant toujours racé, stylistiquement impeccable et un joli legato (merveilleux Mi lusinga et Verdi prati). Mais dans ce rôle exigeant créé par le castrat Carestini – qui, à l’époque, devait tout autant éblouir le public qu’Anna Strada del Pò (première Alcina) –, la mezzo anglaise perd peu à peu de sa superbe. Au point de conclure sa prestation par un Sta nell’Ircana presque catastrophique, soudain privé de projection et de virtuosité.
Avec son timbre un peu aigrelet, son vibratino, un Tornami a vagheggiar digne d’une Olympia et gratifié un contre-fa bien inutile, Anna Christy fait craindre à un énième portrait de Morgana de type soubrette. Elle se révèle fort heureusement bien plus convaincante et émouvante par la suite, grâce à de beaux pianissimi et une simplicité retrouvée.
En Bradamante, Christine Rice présente finalement ce soir le portrait le plus complet et le plus orthodoxe de la soirée. Son contralto, qui atteint le grave avec naturel et sans poitrinage excessif, révèle une aisance ébouriffante dans les vocalises et rend enfin sa part de féminité au rôle. Enfin, si Ben Jonhson s’embourbe par moments dans les vocalises d’Oronte, Anna Devin exécute les trois courts mais ravissants airs d’Oberto avec beaucoup de panache, déclenchant un tonnerre d’applaudissements mérité après son Barbara final.
Le très british Harry Bicket, sorte d’antithèse parfaite de Marc Minkowski, dirige ce soir cette Alcina avec élégance, mais sans urgence. Scotché à son siège au clavecin, il tourne l’opéra seria de Haendel vers la cantata di camera, homogénéisant à outrance les tempi et se refusant à tout lyrisme dans les moments les plus émouvants, comme dans ce Ah, mio cor, perdu sous un tapis quasi métronomique de cordes. Étrangement, en toute fin de représentation, le temps d’un intermède final jouissif, tambourin à la clé, le chef et son English Concert (impeccable de virtuosité et de précision) se dérident un peu. Un peu tard sans doute.
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