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CRITIQUES DE CONCERTS |
11 octobre 2024 |
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Concert de l’Orchestre philharmonique de Saint-Pétersbourg sous la direction de Yuri Temirkanov, avec la participation du pianiste Andreï Korobeinikov à l’Arsenal de Metz.
Une leçon d’orchestre
Tchaïkovski ou Chostakovitch par le Philharmonique de Saint-Pétersbourg, c’est comme Strauss ou Mahler par le Philharmonique de Vienne : une évidence, à laquelle on ajoutera ici une luxuriance de sonorités magnifiée par un Yuri Temirkanov sobre tandis que le piano très intellectuel d’Andreï Korobeinikov cisèle un Premier Concerto de Tchaïkovski sans pathos excessif.
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C’est une stupéfiante prestation que le Philharmonique de Saint-Pétersbourg distille au public messin, car s’il est une chose à retenir de ce concert, c’est la rutilance des sonorités de la formation russe qui n’a par là rien à envier à ses consœurs européennes. Des cordes absolument admirables comblent par la plénitude et la beauté du son, une homogénéité confondante due à une haute qualité d’écoute des musiciens qui montrent en outre un engagement de tous les instants et un plaisir de jouer extrêmement communicatif.
Les contrebasses impressionnent particulièrement par leur puissance, leur rondeur (avec un jeu très à la corde) et leur parfaite justesse. Du côté des vents, on guette avec plaisir (et avec la satisfaction que cette caractéristique soit entretenue) des couleurs très marquées et différenciées : nulle envie ici de se fondre dans l’ensemble mais au contraire un relief sensible donné aux solos et aux délicats unissons chez Chostakovitch entre hautbois et clarinette par exemple, tous deux admirables.
Si l’on goûte moins le jeu presque saturé de la première flûte, on admire sans réserve la beauté du piccolo qui a fort à faire dans la même œuvre, que ce soit en tutti ou en solo. Pour autant, ces couleurs presque crues des bois ne déséquilibrent pas la sonorité de l’ensemble, elles la pimentent sans excès tout comme les cuivres qui, loin d’être tonitruants, se fondent également aux autres groupes tout en réservant par moments un tranchant et un impact stupéfiants. Ils sont secondés en cela par un impeccable pupitre de percussions que domine un excellent et impérial timbalier.
Rien d’étonnant ainsi à ce que le Premier Concerto de Tchaïkovski resplendisse avec de tels atours. Pourtant, Yuri Temirkanov semble retenir l’orchestre de verser dans un romantisme trop échevelé et fait preuve d’une certaine sobriété et d’une réelle finesse, et ce dès les grandes phrases d’ouverture très élaborées au niveau des phrasés et des nuances.
Il a sans doute été guidé sur cette voie par le jeu très analytique et intellectuel du jeune Andreï Korobeinikov qui, s’il ne refuse pas quelques moments tonitruants, se distingue par une grande simplicité (permettant un contrepoint très clair), une certaine économie dans la pédalisation et un refus du spectaculaire gratuit. C’est ainsi une lecture sereine, presque lunaire par moments (la cadence) qui suscite la fascination, même si l’on pourrait souhaiter davantage de fougue et d’abandon – tels qu’il en habille Chopin dans son magnifique bis par exemple.
Lorsque Temirkanov se lance dans la Dixième Symphonie de Chostakovitch, on est de nouveau saisi par la splendeur des cordes graves, les archets à la corde et le soin des phrasés. Malgré la plénitude et la beauté des sonorités, il sourd de tout le mouvement initial une noirceur et une inquiétude pesantes. Contraste radical avec le terrible Allegro qui suit et qui laisse tétanisé cette fois par un climat effrayant d’oppression et de violence. Les arêtes sont vives, les coups de butoir littéralement assommants ; il faut un certain temps pour reprendre ses esprits après une telle intensité.
Malgré l’apparente détente que constitue l’Allegretto, Temirkanov y laisse planer une tension continue avec un tempo enlevé ménageant par ailleurs de surprenants accelerandi qui maintiennent un climat implacable. L’ultime mouvement débute dans une ambiance de fin du monde avec toujours ces cordes graves, ces magnifiques et bouleversants solos des bois (déchirant hautbois notamment), cette concentration et cette écoute des musiciens entre eux. L’Allegro conclusif semble alors exploser, comme une énergie trop longtemps contenue, et la coda ébouriffante laisse pantois.
Au final, une parfaite adéquation entre des musiciens et des œuvres mais surtout une véritable leçon d’orchestre non seulement au niveau sonore mais également au niveau de l’implication des musiciens autour de leur chef, un Temirkanov qui semble fatigué mais pourtant particulièrement inspiré et sobre ce soir. On ne répètera enfin jamais assez quel immense bonheur constitue l’écoute d’un concert dans la sublime salle de l’Arsenal qui allie le plaisir des yeux à celui des oreilles grâce à une acoustique toujours aussi magique.
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Arsenal, Metz Le 11/11/2014 Pierre-Emmanuel LEPHAY |
| Concert de l’Orchestre philharmonique de Saint-Pétersbourg sous la direction de Yuri Temirkanov, avec la participation du pianiste Andreï Korobeinikov à l’Arsenal de Metz. | Piotr Ilitch Tchaïkovski (1840-1893)
Concerto pour piano n°1 en si bémol mineur (1875)
AndreĂŻ Korobeinikov, piano
Dmitri Chostakovitch (1906-1975)
Symphonie n° 10 en mi mineur (1953)
Orchestre philharmonique de Saint-PĂ©tersbourg
direction : Yuri Temirkanov | |
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