|
|
CRITIQUES DE CONCERTS |
09 septembre 2024 |
|
Don Quichotte est plus proche du Jongleur de Notre Dame que de Manon ou de Werther, et à cause de cela reste marginal dans le répertoire. Deux productions plutôt ratées depuis la guerre au Palais Garnier n'avaient guère redoré son blason.
Accueillie très chaleureusement par le public de l'Opéra Bastille, la vision de Gilbert Deflo est traduite en termes scéniques très clairs. Un chapiteau avec ses petites lumières de couleurs et sa vaste tente est le lieu unique où le drame va se jouer. Héros décalé, défenseur de valeurs qui n'intéressent plus la société qui l'entoure mais doté d'un tel rayonnement humain qu'il vainc les coeurs les plus endurcis, Don Quichotte est comme le clown blanc accomplissant son triste numéro devant un public ricanant. Dulcinée, symbole de la vanité, de la fatuité et de la superficialité évolue dans un univers coloré, artificiel, que symbolisent autant l'escalier qu'elle gravit ou descend et les fougueux danseurs espagnols qui l'entourent que les paons rutilants qui ornent son salon aux couleurs criardes.
Le rêve de Don Quichotte, que seul comprend et partage Sancho se déroule à l'opposé, dans des éclairages gris et bleutés, un monde dépouillé, un "no man's land" où se perdent les ultimes débris de sa belle âme. Au tableau final, la représentation est finie, la tente démontée, Rocinante et l'âne retournés dans leur cage. Solitude totale.
Le spectacle est poétique et efficace à condition d'accepter ce jeu, d'être sensible à ces images de fête foraine, de ne pas chercher non plus une traduction scénique psychanalytique au trente-sixième degré. Samuel Ramey dans le rôle titre n'a certes plus les moyens de sa jeunesse mais son phrasé reste sûr et il joue le personnage en grand tragédien, sans aucun effet inutile ni forcé. Jean-Philippe Lafont a tout pour être un Sancho idéal, la voix, le physique et cette bonhomie naturelle qui avait déjà été si bien utilisé en Barak dans la Femme sans ombre. Carmen Oprasinu qui débute à l'Opéra de Paris est une Dulcinée au physique aussi joli que la voix. C'est un rôle ingrat où peu de cantatrices parviennent à s'imposer vraiment. Les autres rôles, très secondaires sont tenus tel qu'il convient. Choeurs et orchestre sont irréprochables et la direction de James Conlon remarquable de finesse.
| | |
Doit-on pour autant dire qu'il s'agit d'une grande soirée d'opéra? Cela tient plus à l'ouvrage lui-même qu'à sa représentation. Le Palais Garnier aurait sans doute été plus adéquat pour rendre le côté intimiste de la majorité des scènes que les vastes espaces de Bastille, mais, sortis de quatre ou cinq titres majeurs il faut bien reconnaître que notre répertoire lyrique national ne va pas sans poser quelques problèmes de qualité intrinsèque. Au soir de cette première, le public a été enthousiaste, la majorité du milieu professionnel a fait la moue. Sans doute faut-il ne pas être trop blasé pour être sensible à ce type d'images et à ce propos tant musical que théâtral.
Don Quichotte de Jules Massenet
Direction musicale : James Conlon
Mise en scène : Gilbert Deflo
Décors et costumes : William Orlandi
Chorégraphie : Antonio Marquez
Orchestre et choeur de l'Opéra national de Paris
Avec Carmen Oprisanu (Dulcinée)- Samuel Ramey (Don Quichotte)- Jean-Philippe Lafont (Sancho)- Joël Azaretti (Pedro)- Allison Cook (Garcias)- Jean-Pierre Trevisani (Rodriguez)- Kevin Greenlaw (Juan)- Georgs Daum (le chef des bandits)- Francis Béteille (premier bandit)- Oliver Fillon (deuxième bandit)- Patrick Foucher (troisième bandit)- Jean-Pierre Mazaloubaud (quatrième bandit)- Olivier Berg (premier domestique)- Guillaume Petitot-Bellavue (second domestique).
| | |
| | |
|