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CRITIQUES DE CONCERTS |
13 octobre 2024 |
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Nouvelle production de Jacob Lenz de Rihm dans une mise en scène d’Andrea Breth et sous la direction de Franck Ollu au Théâtre royal de la Monnaie, Bruxelles.
Romantisme noir
Pourquoi le Théâtre de la Monnaie réussit-il à imposer avec succès le Jakob Lenz de Wolfgang Rihm au moment où d'autres institutions prennent des précautions infinies à programmer des ouvrages contemporains ? Une partie de la réponse se trouve dans l'excellence du plateau et une scénographie au cordeau signée Andrea Breth.
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Théâtre royal de la Monnaie, Bruxelles
Le 04/03/2015
David VERDIER
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Jakob Lenz brille d'un éclat particulier dans un paysage contemporain d'ordinaire peu enclin aux conventions du genre opératique. Composé en 1979 à une époque où s'éloignaient les débats autour de Darmstadt et la primeur d'une objectivité sur l'expressivité, Wolfgang Rihm choisit la voie étroite d'une narration quasi expressionniste. Sur le mode d'un Sturm und Drang psychologique, la nouvelle de Georg Büchner sert de base à un livret qui s'en inspire librement, en ne retenant qu'un portrait fantasmé et tragique de l'auteur de Die Soldaten, à la toute fin de sa courte existence.
La mise en scène d'Andrea Breth joue la carte d'un huis clos obsédant, pris entre visions hallucinées et cruauté hyperréaliste. On observe à travers un judas la décomposition psychologique d'un personnage secoué par des spasmes et des crises. Pris entre la douleur d'un amour impossible pour la jeune Friederike, les discours lénifiants du pasteur Oberlin et la perversité de Kaufmann, le personnage de Lenz traverse les treize scènes comme autant de stations sur un chemin de croix.
Ce séquençage de l'action en moments évoque en trompe-l'œil la structure du Wozzeck de Berg, avec une logique narrative plus disloquée et la présence d'hallucinations persistantes, comme pour mieux saisir une réalité vacillante envisagée du point de vue interne du personnage – les enfants sur leurs chaises trop grandes, Oberlin en douairière à robe noire.
Des changements de décors (signés Martin Zehetgruber) aussi subits que virtuoses soulignent l'onirisme et l'absurdité des situations, tandis que les lumières d'Alexander Koppelmann alternent la cruauté des néons et la pénombre vénéneuse des couloirs. Une eau noire et visqueuse suinte d'un immense bloc de glace et parcourt un plateau figurant un intérieur glauque tapissé de papier peint déchiré, avec d'incongrus rochers noirs qui parsèment le sol.
Andrea Breth joue sur des effets de dessus/dessous par l'utilisation de miroirs obliques, comme dans cette scène où le quatuor vocal est figuré sous forme de spectres accrochés en hauteur. Allongé sur les rayonnages de l'immense bibliothèque, Lenz se débat comme dans un cercueil ouvert ; cette obsession du corps en position fœtale se répercute à même le sol, barbouillé d'excréments comme si le personnage était prisonnier de lui-même – préférant s'enfuir dans la montagne poursuivi par ses voix intérieures, pris dans une angoissante régression physique et mentale.
La performance étourdissante autant qu'extrême de Georg Nigl participe à l'éclatant succès de cette production. Impossible de distinguer chez lui ce qu'il convient d'admirer, entre les talents d'acteurs et la maîtrise d'une ligne de chant qui joue sur un ambitus redoutable, entre la raucité des graves gutturaux et les mélismes en voix en tête. La technique se plie parfaitement aux exigences délirantes du livret, livrant une incarnation stupéfiante du personnage. Les autres rôles pâtissent de cette séduction magnétique, sans qu'on puisse parler pour autant de contre-performance. Henry Waddington est un Oberlin assez neutre de projection et de couleur, tandis que John Graham-Hall cherche à surprendre par une efficace présence scénique, malgré une surface vocale assez modeste.
La partition hérissée et psychotique est portée à bout de bras par la battue précise et objective de Franck Ollu. Malgré la présence disproportionnée des percussions, l'effectif chambriste libère en fosse une trame musicale aussi étourdissante qu'hétéroclite. L'exigence de l'écoute est à la dimension d'une expressivité dramatique unique et remarquable.
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