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CRITIQUES DE CONCERTS |
11 décembre 2024 |
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Première à l’Opéra de Paris du Cid de Massenet dans la mise en scène de Charles Roubaud, sous la direction de Michel Plasson.
Tout Paris pour Rodrigue
Le ténor tant aimé est incontestablement Rodrigue, proclamé Cid par les rois maures, le héros de l’opéra de Jules Massenet d’après la pièce homonyme de Corneille. C’est une production de l’Opéra de Marseille qui marque le retour au Palais Garnier de l’ouvrage, dans une version fidèle au caractère du grand opéra.
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Ô rage, ô désespoir, ô vieillesse ennemie… Les années, les siècles passent et Rodrigue a toujours autant de cœur et Don Diègue le sens de l’honneur. Seul, anéanti mais digne, il nous comble – ô paradoxe – de ces mots qui ont bercé notre enfance. Paul Gay a la prestance de ce grand d’Espagne pour qui l’honneur prime la vie. Ce fils qui doit le venger d’avoir été scandaleusement souffleté, il peut le dominer de sa taille et de sa volonté.
Face au monolithisme si bien incarné par la basse, timbre profond au service de son drame, avec son obéissance Rodrigue découvre le désespoir. Roberto Alagna y est aussi respectueusement vrai qu’il le sera à chaque moment de l’opéra dont le livret d’Adolphe d’Ennery, Louis Gallet et Edouard Blau nous plonge dans les mêmes dilemmes que le Cid de Corneille, quelles que soient les variantes versifiées apportées à l’intrigue nourrie de la musique de Massenet.
L’art du ténor n’est plus à dire. Il ne cesse d’émerveiller un public sous le charme de cette présence qui chante comme d’autres respirent. Son aisance vocale triomphe de toutes les situations, plus ou moins convaincantes selon ses partenaires. Sonia Ganassi n’en est pas la meilleure. Face à ce Rodrigue tout en nuances, sa Chimène reste dans l’outrance.
Ses aigus attaqués nets et durs, la projection inégale, l’amoureuse de l’assassin de son père, le comte de Gormas, parfaitement campé par Laurent Alvaro avant de rendre l’âme sous l’épée de Rodrigue, s’exprime surtout dans le cri – de fureur, de souffrance, de vengeance, d’inquiétude, de joie, d’amour aussi bien. Cette violence permanente ignore les pauses de la tendresse, mais n’atteint pas l’élan, l’ardeur du héros légendaire qui se révèle ici un homme fier, fidèle, sensible et téméraire et non point fastueux ni belliqueux.
Ce que met en valeur la mise en scène de Charles Roubaud. Si son respect de la tradition perpétue le genre convenu du grand opéra qu’est le Cid, composé entre Manon et Werther et créé à l’Opéra Garnier en 1885, il lui donne une dimension que n’alourdit aucun effet grandiose. L’intrigue en est avant tout humaine. D’une Espagne située par les mantilles et vêtements portés au I, l’Infante et le roi rappellent le contexte historique. Celle-ci n’y a guère de place, la scène où elle fait la charité devant le rideau baissé n’a d’autre intérêt que de permettre à la soprano Annick Massis de louer joliment le printemps. Le second est un roi sage. Nicolas Cavallier une fois entré dans son rôle y demeure juste.
Les décors se veulent ensuite de tous les temps, comme l’est toute histoire d’amants déchirés entre le devoir et la passion. Chambre de Chimène en deuil, le mobilier 1930 houssé de noir au III, neutralité du camp de Rodrigue parti vaincre les Maures, de la salle dans le palais du Roi au IV où Chimène hurle sa douleur en robe bleue ceinturée à la taille style new-look 1945, ces cadres sans autre audace ne polluent rien de ce qui s’y vit.
Avoir supprimé certaines scènes du livret, notamment quelques mouvements de foule, groupes joyeux et ballet nécessaire à l’époque de Massenet, participe à la concentration de la dramaturgie que les chœurs de l’Opéra national de Paris servent magnifiquement. Leur participation, essentielle, exalte les sentiments que la mise en scène se refuse de souligner lourdement. Le courage, la détermination, la fidélité des sentiments prennent une dimension que ne délaie aucune distraction.
Dans la fosse, après une première ouverture assez plate sous la direction de Michel Plasson, l’Orchestre de l’Opéra se coule à cette dramaturgie, accompagnant les chanteurs au mieux de leur expressivité. Préludant au III, des solos de bois rappellent la qualité de pupitres bellement solidaires que le chef entraîne finalement dans une ouverture au IV des plus dynamiques.
Respectueux de la tradition qui a marqué sa création au théâtre il y a bientôt quatre siècles, la représentation actuelle, dans le genre grandiose, réussit à donner à ce Cid d’Alagna un cadre sobrement à sa dimension. Et permet d’inverser la déclaration de Boileau suite à la querelle lancée par Scudéry contre Corneille après la création de sa pièce en 1636, pour conclure qu’avec Alagna, « tout Paris pour Rodrigue a les yeux de Chimène. »
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Palais Garnier, Paris Le 27/03/2015 Claude HELLEU |
| Première à l’Opéra de Paris du Cid de Massenet dans la mise en scène de Charles Roubaud, sous la direction de Michel Plasson. | Jules Massenet (1842-1912)
Le Cid, opéra en quatre actes et dix tableaux
Livret d’Adolphe d’Ennery, Louis Gallet et Edouard Blau, d’après la pièce homonyme de Corneille
Chœurs et Orchestre de l’Opéra national de Paris
direction : Michel Plasson
mise en scène : Charles Roubaud
décors : Emmanuelle Favre
costumes : Katia Duflot
Ă©clairages : Vinicio Cheli
préparation des chœurs : José Luis Basso
Avec :
Sonia Ganassi (Chimène), Annick Massis (l’Infante), Roberto Alagna (Rodrigue), Paul Gay (Don Diègue), Nicolas Cavallier (le Roi), Laurent Alvaro (le Comte de Gormas), Francis Dudziak ( Saint Jacques), Jean-Gabriel Saint-Martin (l’Envoyé maure), Luca Lombardo (Don Arias), Ugo Rabec (Don Alonso). | |
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