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CRITIQUES DE CONCERTS |
07 octobre 2024 |
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Nouvelle production d’Ariane et Barbe-Bleue de Dukas dans une mise en scène d’Olivier Py et sous la direction de Daniele Callegari à l’Opéra national du Rhin.
Le syndrome de Stockholm
Il en rêvait, Marc Clémeur la lui a proposée. À Strasbourg, Olivier Py restitue à la rare Ariane de Dukas ses interrogations symbolistes et sa perversité, dans une production parmi les plus réussies du prolifique metteur en scène. En fosse, l’Orchestre de Mulhouse se surpasse, permettant à Sylvie Brunet, Nourrice d’un feu continu, de se transcender.
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La production de l’ère Mortier à l’Opéra de Paris, due à la décoratrice de Marthaler, Anna Viebrock, avait considérablement ennuyé. Plus récemment, celle de Lilo Baur à Dijon, littérale, était trop sage pour laisser une véritable empreinte. Et voilà que Marc Clémeur, directeur de l’Opéra du Rhin, propose à Olivier Py de réaliser l’un de ses souhaits les plus chers en lui confiant l’Ariane et Barbe-Bleue de Dukas.
Si à courir les maisons d’opéra, on peut légitimement penser que le metteur en scène français a tendance à se répéter, à proposer presque toujours la même atmosphère visuelle et à exposer les mêmes obsessions, quitte à laisser en jachère la direction d’acteurs (son Aïda parisienne), il tape cette fois dans le mille avec sa vision très sombre de l’univers de Maeterlinck. Son décorateur de toujours Pierre-André Weitz a divisé l’espace scénique en deux verticalement, souterrains éventrés où se déroule l’action principale comme écrasés sous le poids du fantasme, d’un monde des peurs intimes figuré par un vaste « écran » supérieur où pourront se dérouler autant d’hallucinations fantasmagoriques.
Le choix d’un spectacle d’une seule coulée, sans pause, lié par le mugissement du vent soufflant comme sur quelque château transylvanien aux changements d’acte, rehaussés par cette gélatine rouge de cauchemar obscurcissant encore le monde du haut, donne une impressionnante unité à un conte abolissant les frontières du réel et du fantasmé.
L’Ariane mythologique est de surcroît convoquée pour justifier la présence de Barbe-Bleue sous les traits du Minotaure, mélange de peur ancestrale et de fascination sexuelle, dont l’entrée en scène, sous le lustre pâle d’une vaste chambre abandonnée, au moment de la lointaine chanson des Filles d’Orlamonde, marquera durablement les esprits.
Séances de domination pas loin de la messe noire, nudité féminine et masculine chorégraphiée, corps en mouvements tout d’animalité, inquiétantes têtes de loups, les déviances imaginées depuis l’extérieur du château par un chœur de paysans cantonné dans les loges d’avant-scène (idée acoustiquement parfaite) forment un contrepoint constant à l’action principale reléguée dans l’étroitesse suffocante des oubliettes.
En brillant homme de théâtre, Olivier Py négocie du reste au mieux l’épisode des pierreries, d’ordinaire véritable galère pour les metteurs en scène, ici simple scintillement de couleurs figurant au mieux chaque gemme. Et de clore l’ouvrage avec force en trahissant dans chaque geste des captives leur attachement à leur bourreau, façon syndrome de Stockholm, dans une image finale de toute beauté, masque de Minotaure brandi au bout d’un bâton, les mains des femmes vers le ciel, implorantes, rejointes par une Nourrice jusqu’ici étrangère à toute tentation, symbole final d’impuissance totale à s’approprier la liberté offerte.
Dans la fosse, la surprise majeure vient de la stupéfiante cohésion de l’Orchestre symphonique de Mulhouse, d’une tenue exemplaire, d’une maîtrise de la tension, d’une habileté à porter le grand souffle de l’ouvrage qui forcent l’admiration, grâce à la battue nette, dissonances en pleine lumière, angles saillants de Daniele Callegari, capable de surcroît de moments proches du silence sur le fil du rasoir, cordes sur le chevalet et ambiances à couper au couteau.
Reste le plateau, où l’on déplorera de nouveau, après une expérience dijonnaise douloureuse, les moyens ravagés d’une Jeanne-Michèle Charbonnet en bout de course, Ariane mastoc comme jamais, aigu au hululement impossible et diction sacrifiée. Sans peine, la Nourrice de Sylvie Brunet-Grupposo lui vole la vedette, incandescente à chaque seconde, toujours contestable de voyelles mais d’un inextinguible feu sacré, vocalité possédée, façon Jean Madeira, vibrato ardent et aigus incendiaires.
Marc Barrard réussit quant à lui à imposer une présence dans les quelques mots de Barbe-Bleue, prononciation exemplaire et couleur ambrée façon Oreste d’Elektra. On admirera enfin tout autant les femmes de Barbe-Bleue, notamment la Sélysette d’Aline Martin et la Mélisande de Gaëlle Alix, voix idéalement dardées par-dessus un orchestre déchaîné.
Opéra du Rhin, Strasbourg, les 28, 30 avril, 4 et 6 mai ; la Filature, Mulhouse, les 15 et 17 mai.
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Opéra du Rhin, Strasbourg Le 26/04/2015 Yannick MILLON |
| Nouvelle production d’Ariane et Barbe-Bleue de Dukas dans une mise en scène d’Olivier Py et sous la direction de Daniele Callegari à l’Opéra national du Rhin. | Paul Dukas (1865-1935)
Ariane et Barbe-Bleue, ou la délivrance inutile, opéra en trois actes (1907)
Livret de Maurice Maeterlinck
Chœurs de l’Opéra national du Rhin
Orchestre symphonique de Mulhouse
direction : Daniele Callegari
mise en scène : Olivier Py
décors & costumes : Pierre-André Weitz
Ă©clairages : Bertrand Killy
préparation des chœurs : Sandrine Abello
Avec :
Marc Barrard (Barbe-Bleue), Jeanne-Michèle Charbonnet (Ariane), Sylvie Brunet-Grupposo (la Nourrice), Aline Martin (SĂ©lysette), RocĂo PĂ©rez (Ygraine), GaĂ«lle Alix (MĂ©lisande), Lamia Beuque (Bellangère), Jaroslaw Kitala (Un vieux paysan), Peter Kirk (deuxième paysan), David Oller (troisième paysan). | |
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