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CRITIQUES DE CONCERTS |
07 octobre 2024 |
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Nouvelle production de Turandot de Puccini dans une mise en scène de Nikolaus Lehnhoff et sous la direction de Riccardo Chailly à la Scala de Milan.
Turandot moderno
En choisissant la version du finale de Luciano Berio plutôt que celle, habituelle et conventionnelle, de Franco Alfano, Riccardo Chailly propose pour ses débuts en tant que nouveau directeur musical de la Scala un Turandot tourné vers l’avenir, avec une distribution parfaitement intégrée à cette lecture mais une mise en scène peu novatrice.
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1924. Puccini, fumeur invétéré, meurt d’un cancer de la gorge, laissant inachevé son dernier opéra, dont les ultimes notes composées abandonnent au monde l’un des airs les plus déchirants jamais écrits, le Tu che di gel sei cinta de Liù. Créé par Arturo Toscanini tel quel, l’ouvrage est ensuite complété par Franco Alfano, le compositeur de Cyrano de Bergerac, et garde une unité stylistique tout en perdant en finesse, avant qu’une seconde version, entendue notamment en 2002 à Salzbourg, n’arrive de nombreuses années plus tard, cette fois sous la plume de Luciano Berio.
En validant cette deuxième proposition, Riccardo Chailly inscrit le drame dans la modernité et adapte sa direction pour en faire ressortir des couleurs novatrices, avec une mise en avant prononcée des percussions. Est-ce par choix ou parce qu’il n’avait plus dirigé dans la fosse de La Scala depuis des années, mais le volume sonore est d’abord trop poussé et les équilibres perfectibles, notamment aux cuivres, point faible de l’orchestre ? Malgré ces sonorités neuves, il ne parvient pas à éviter un effet de rupture quand arrivent les premières notes du final, Berio ayant retravaillé le matériau avec son propre langage constellé de dissonances, comme si Puccini, après avoir découvert Schoenberg vers 1909, avait écrit Wozzeck plutôt que de retrouver l’inspiration de la Fanciulla del West.
Paradoxalement, l’éclat et la netteté donnés aux instruments sont contrebalancés par un mur sonore à chaque forte, comme si Karajan avait dirigé son célèbre enregistrement studio en live, forçant les solistes à pousser la voix à l’extrême, surtout Stefano La Colla, remplaçant bienvenu d’Aleksandr Antonenko d’abord prévu dans le rôle de Calaf. Le timbre nasal du ténor n’altère pas une grande maîtrise de la puissance et de la ligne, malgré un vibrato plus prononcé à la fin de Nessun dorma.
Le chef pousse aussi le volume devant Turandot, bien que Nina Stemme passe toujours sans faille au-dessus de l’orchestre et délivre par la qualité du chant et la dynamique des aigus une superbe princesse. Plus déterminante dans ce rôle que dans celui de Minnie, déjà chanté dans une mise en scène de Lehnhoff la saison passée, elle réussit le test des trois énigmes avec une grande clarté et une déclamation pleine de grandeur, où ne souffre que le manque d'initiative de la dramaturgie.
Chailly adapte également sa direction dans le trio parfaitement en place de Ping-Pang-Pong, en s’occupant tout particulièrement du plateau, sans pouvoir empêcher Angelo Veccia (Ping) de se démarquer par sa supériorité vocale. La direction efface toute tendance académique au début de l’acte II pour porter le drame vers l’univers du cirque, en accord avec le rideau de scène rouge servant de jeu aux trois trublions en costumes bouffe. C’est toutefois en soutenant Liù que Chailly accomplit le plus de merveilles, faisant toucher les cordes au sublime lorsque Maria Agresta débute Tanto amore segreto porté par un magnifique violon solo. Sa mort bouleversante est renforcée par la mise en scène qui ne traite longtemps que son personnage avec humanité, en plus du Timur aveugle d’Alexander Tsymbaliuk, dont les beaux graves russes ne cachent pas un manque de souplesse dans l’italien.
Le mandarin en costume chinois d’un aspect antique modernisé par notre siècle du manga ouvre l’opéra avec justesse et reprend efficacement la main au II, après l’aria de l’Empereur Altoum, élevé dans les airs dans une monumentale robe blanche sortie des délires créatifs des années 1970. L’excellent chœur tout en manteaux de cuir noir ou en vestes rouges adapte l’histoire de Carlo Gozzi à la Chine communiste, idée soutenue par le décor unique de Raimund Bauer, grand pan rougi de la Cité Interdite, qui pourra resservir si besoin à Elektra ou Salomé.
Il faut attendre la main de Berio pour que Turandot perde en stature et gagne en sensibilité, comme si le fait de lui ôter le chapeau de son ensemble noir avait détruit son immortalité et avivé ses sentiments amoureux. Le dernier duo superbement géré par les solistes permet une dernière fois de profiter des percussions et des cordes, dans une salle toujours mythique où ne manque plus qu’un public rajeuni au parterre, plus apte à raviver les passions aux applaudissements qu’à s’échapper une fois le dernier accord joué.
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Teatro alla Scala, Milano Le 15/05/2015 Vincent GUILLEMIN |
| Nouvelle production de Turandot de Puccini dans une mise en scène de Nikolaus Lehnhoff et sous la direction de Riccardo Chailly à la Scala de Milan. | Giacomo Puccini (1858-1924)
Turandot, drame lyrique en trois actes (1926)
Livret de Giuseppe Adami et Renato Simoni
Final du III par Luciano Berio
Coro del Teatro alla Scala
Orchestra del Teatro alla Scala
direction : Riccardo Chailly
mise en scène : Nikolaus Lehnhoff
décors : Raimund Bauer
costumes : Andrea Schmidt-Futterer
Ă©clairages : Duane Schuler
chorégraphie : Denni Sayers
Avec :
Nina Stemme (Turandot), Stefano La Colla (Calaf), Maria Agresta (LiĂą), Alexander Tsymbazliuk (Timur), Angelo Veccia (Ping), Roberto Covatta (Pang), Blagoj Nacoski (Pong), Carlo Bosi (Empereur Altoum), Ernesto Panariello (Un Mandarin). | |
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