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CRITIQUES DE CONCERTS |
11 décembre 2024 |
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Inauguration de l’orgue de la Philharmonie de Paris par Thierry Escaich et concert de l’Orchestre de Paris sous la direction de Paavo Järvi, avec la participation de l’altiste Antoine Tamestit.
Un panel de créativités
Parcours créatif du XIXe siècle au XXIe pour l’inauguration de l’orgue de la Philharmonie de Paris par Thierry Escaich, grand maître ès improvisations, suivie de la création du Concerto pour alto de Jörg Widman avec Antoine Tamestit, puis d’une Troisième Symphonie de Saint-Saëns enthousiasmante sous la direction de Paavo Järvi.
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Bel oiseau blanc, posé ailes déployées au centre de la scène, le buffet de l’orgue attend. Thierry Escaich arrive et lui donne son envol. Le nouvel instrument construit pour la Philharmonie de Paris prend vie de la plus imaginative manière qui soit. Des grondements dans les graves une voix s’élève. Là -haut, face au parterre, les tuyaux se découvrent, le mur s’illumine et s’ouvre aux sonorités dont la richesse va nous accompagner dans un parcours magnifiquement sensoriel sous les improvisations de Thierry Escaich, un maître en la matière.
Les formes, les textures, les couleurs participent à une aventure dont l’inspiration provoque les images, inédites et librement perçues par chacun d’entre nous. La nature, sa fraîcheur, les drames, la guerre qui se rapproche, les éclats, la paix et l’espérance, la passion s’enchaînent, immense construction architecturale d’une seule portée soutenue par les rythmes tels des soubassements.
Évidence de cette structure dont nous ne savons rien et créée sous nos yeux, fulgurances de sa spontanéité. Le cheminement suivi, les climats, les émotions partagées aboutissent à un crescendo magistral, véritable tutti orchestral à l’arrachement grandiose. Le nouvel orgue construit par l’entreprise Rieger, dernière manufacture d’orgue à faire toutes ses pièces elle-même, ne pouvait être mieux inauguré que par le titulaire de la tribune de Saint-Étienne du Mont.
En création mondiale, le Concerto pour alto de Jörg Widmann nous invite à une autre sorte d’aventure. Comme Paavo Järvi s’apprête à introduire l’œuvre, face à l’orchestre et sans altiste à ses côtés, surprise d’un son qui arrête son bras. C’est derrière la harpe, à jardin, qu’Antoine Tamestit se lève alors en tapant sur son instrument. Réponse de la percussion, de quelques sons brefs dans l’orchestre.
Toujours sans archet, les doigts seuls sur les cordes, Tamestit s’avance et s’arrête, debout, entre les bois et les cuivres. Ses pizzicati jouent de toutes les variantes possibles et même impossibles, l’atmosphère se densifie, étrange, prenante, imprévisible, avec les pupitres de l’Orchestre de Paris en partenaires plus ou moins isolés. Lois de l’instant. Une corde se casse. Interruption et reprise avec l’archet. Longues notes tenues qui s’opposent aux crépitements, aux cascades, aux frappes, aux battements, aux chocs, aux saisissements précédents. Poésie et nostalgie d’une mélodie, reprise par les bois dont le soliste s’est rapproché.
Son expressivité grave, troublante, surprend ici puis là , mobile, vivante, maintenant derrière les trois altos de l’orchestre face au public, puis derrière les violoncelles. Aux phrasés hachés soudain s’oppose la virtuosité d’une sorte de cadence impressionnante qu’entoure l’orchestre. Autre avancée, le soliste s’efface derrière les cordes, les violons rejoints pas les cordes graves ensemble ils retombent dans une sonorité assourdie à l’extrême, un chant d’adieu douloureux et profond au monde utopique évoqué, où semble s’éteindre une sirène.
La Symphonie n° 3 avec orgue de Saint-Saëns, ancrée dans la tradition de la fin du XIXe siècle, couronne glorieusement ces créations contemporaines. Thierry Escaich est évidemment au buffet, reculé à jardin, simple instrument parmi les autres mais ô combien présent. L’épanouissement de l’Orchestre de Paris sous la direction de Paavo Järvi depuis 2010 se manifeste pleinement dans ce répertoire français que Charles Munch portait à ses sommets.
Dans les traces du premier directeur musical de l’O.P., l’impulsion que le chef estonien donne à la métamorphose thématique des mouvements de la symphonie personnalise leur dynamisme. Premières notes du Dies irae, sombre atmosphère née des cordes, Adagio – allegro molto moderato la phrase immense court, s’allège, s’enrichit, se passionne. Pianissimi de rêve aux cordes bellement homogènes, notamment aux violoncelles, grands accords de l’orgue intégré, le Poco adagio développe une ampleur tranquille où bois, trombones et cors prennent le relai.
Légèreté du Scherzo/Finale qui témoigne d’une impétuosité, d’une exubérance contagieuses. Clarté de la double fugue à l’orgue, grandeur et intimité de l’atmosphère suscitée par un orchestre habité, la célèbre symphonie révèle des nuances et des contrastes d’où disparait toute lourdeur, et nous enchante jusqu’à son apothéose, un Dies irae rayonnant.
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Philharmonie, Paris Le 28/10/2015 Claude HELLEU |
| Inauguration de l’orgue de la Philharmonie de Paris par Thierry Escaich et concert de l’Orchestre de Paris sous la direction de Paavo Järvi, avec la participation de l’altiste Antoine Tamestit. | Thierry Escaich (*1965)
Improvisation à l’orgue
Jörg Widman (*1973)
Concerto pour alto
Création mondiale
Antoine Tamestit, alto
Camille Sains-Saëns (1835-1921)
Symphonie n° 3 en ut mineur avec orgue, op. 78
Orchestre de Paris
direction : Paavo Järvi | |
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