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CRITIQUES DE CONCERTS |
04 octobre 2024 |
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Reprise de l’Élixir d’amour de Donizetti dans la mise en scène de Laurent Pelly, sous la direction de Donato Renzetti à l’Opéra de Paris.
Effet garanti
Ils s’aiment sur la scène de la Bastille, ils s’aiment dans la vie, Roberto Alagna et Aleksandra Kurzak incarnent Nemorino et Adina dans un échange irrésistible de vérité, de jeunesse et de plaisir. Autour d’eux, comparses, chœurs et Orchestre de l’Opéra de Paris rivalisent de verve. Tous participent de cette fête vocale et offrent un Élixir d’amour enchanteur.
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Quel couple ! Quel beau mariage, celui de ces timbres, ténor et soprano colorature alliés pour deux rôles vécus avec un égal bonheur ! Roberto Alagna et Aleksandra Kurzak paraissent habités des mêmes pulsions que lors de leur rencontre à Covent Garden en 2012 dans cet Élixir d’amour de Donizetti.
Les voici, elle lascive et provocante, allongée à l’ombre de son parasol sur une des meules de foin qui s’entassent en larges marches propres aux rencontres, aux sauts des villageois en cette campagne ensoleillée, lorgnée par un gamin éperdu d’admiration, lui, un môme athlétique, excessif, qui va entreprendre et réussir sa conquête après bien des déboires. Adina lit la légende du philtre d’Yseult, elle enchante les villageois qui l’écoutent et lui répondent, Aleksandra Kurzak et les Chœurs de l’Opéra de Paris ravissent.
Isolé, l’illettré Nemorino regarde et se déplore un idiot. En fait, il en fait un peu trop, notre ténor national, dans ce premier air à tue-tête plutôt triomphal en contradiction avec ses complexes. Un début vite oublié ; le léger vibrato et l’exagération disparaissent. Confondant de naturel, jeune paysan au corps alerte et bondissant en accord avec les couleurs de la voix, l’aisance et la portée de sa projection, Alagna là comme ailleurs prend possession de la scène.
De toute sa jeunesse pétillante, Aleksandra Kurzak la lui dispute. La voix agile nuance le timbre chaleureux. Des aigus cristallins couronnent un legato d’une souple pureté. Au fil des sentiments capricieux de la jeune fille, coquette et inaccessible, une complicité exceptionnelle habitera l’harmonie de leur bel canto. L’intelligence des qualités vocales et leur sensibilité s’épanouissent au sein d’une fête vocale incessante.
Si l’intrigue de l’Élixir d’amour est simplette, qu’importe tant la verve élève ici un opéra bouffe dont l’entrain et le romantisme léger sont à la merci de ses interprètes. Dans les décors gentiment réalistes de Chantal Thomas, la mise en scène de Laurent Pelly, assisté de la dramaturge Agathe Mélinand, fait des chanteurs de véritables acteurs. Régals en tous genres. Voir et entendre Alagna perché sur une échelle enchaîner ses tralalala en est un particulièrement savoureux parmi d’autres. Notamment ceux que nous offre Ambrogio Maestri, Docteur Dulcamara miraculeux.
L’arrivée dans sa camionnette de ce charlatan roublard, deus ex machina de l’intrigue dont il noue ou suspend les fils à son gré, introduit une drôlerie désormais immanente. La faconde irrésistible du baryton-basse lui taille le succès enthousiaste d’un public fasciné par sa gouaille et la richesse de ses intonations, chœur de villageois en joie et spectateurs dans la salle également séduits par les promesses de l’élixir si bien vanté, dont le camelot détenteur partage les prouesses.
L’entrée fanfaronne d’un sergent en uniforme n’a pas le même impact. En Belcore, Mario Cassi est le seul élément un peu faible de la distribution, encore qu’il s’affermisse avec le temps. C’est à l’unique Adina que le matamore veut plaire et qu’il plaît un temps, celui de rendre jaloux le naïf Nemorino de plus en plus imbibé de vin de Bordeaux (élixir d’amour garanti) – au point de perdre un instant sa justesse. Brève défaillance sans importance au regard d’un jeu à l’humanité exceptionnelle, où la romance du dernier acte, Una furtiva lagrima, est tout simplement bouleversante.
Les facéties réussies parce que si bien enlevées, les réparties souvent spirituelles, la gaîté, les moments d’émotion, la spontanéité, la sincérité d’une vitalité constante et nuancée menée de main de maître par Donato Renzetti à la tête d’un orchestre et de chœurs précis, comparses expressifs d’un quatuor vocal au pouvoir de suggestions multiples, tout concourt au succès de cette partition brillante où les airs, les duos, les trios, les ensembles naissent et se multiplient en gradations pleines d’esprit. Pour un plaisir immédiat des plus réussis.
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