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CRITIQUES DE CONCERTS |
13 octobre 2024 |
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Nouvelles productions du Château de Barbe-bleue de Bartók et de la Voix humaine de Poulenc dans une mise en scène de Krzysztof Warlikowski et sous la direction d’Esa-Pekka Salonen à l’Opéra de Paris.
Châteaux et chimères
Couplage original, ce Château de Barbe-Bleue et cette Voix humaine peinent à combler les attentes qu'avaient suscité la présence sur l'affiche de Krzysztof Warlikowski. Loin d'atteindre aux standards d'excellence auxquels il nous avait accoutumé, on se contentera d'un travail en demi-teintes et d'un plateau inégal malgré la direction d'Esa-Pekka Salonen.
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Véritable défi pour les maisons d'opéras, le minutage du Château de Barbe-bleue de Béla Bartók contraint à coupler l'ouvrage avec une deuxième partition, ou bien d'imaginer une mise en espace conceptuelle – en témoigne la séduisante proposition chorégraphique de Pina Bausch à Aix en 1998 ou, plus récemment la cohérence thématique du Dallapiccola-Bartók au Théâtre du Capitole de Toulouse.
Pour son entrĂ©e au rĂ©pertoire, l'OpĂ©ra de Paris avait associĂ© le Château au très sobre et sombre Journal d'un disparu de Janáček en 2007. En choisissant le dĂ©routant Krzysztof Warlikowski, la Grande Boutique confirme le virage Ă cent quatre-vingts degrĂ©s qui font sortir de leur lĂ©thargie les options scĂ©nographiques des annĂ©es Nicolas Joel. Pour autant, on se gardera bien de dĂ©clarer que cette hirondelle fait le printemps.
Plusieurs raisons à cela. La première tient à ce sentiment de déjà -vu qui s'installe dès les premières minutes du Château de Barbe-bleue. Tout commence par la scène muette du tour de magie dans la pure tradition cabaret : le numéro de la lévitation, l'apparition de la colombe et du lapin. Ce prologue en forme de bifurcation onirique fait office de contrepied et d'amorce discrète au magnifique texte de Béla Balázs (Le rideau devant nos yeux se lève, sur la vérité ? Sur le rêve ?).
SitĂ´t l'effet de surprise estompĂ©, on amorce un long mouvement rĂ©trospectif autant que mĂ©moriel, que ce soient les dĂ©cors et les costumes de Małgorzata Szczęśniak, ou les lumières de Felice Ross, il est difficile de se dĂ©faire des souvenirs de l’Affaire Makropoulos, IphigĂ©nie en Tauride ou bien encore sa Lulu.
Sollicités en deçà du raisonnable, la rétine et l'intellect laissent paresseusement s'assembler les pièces d'un puzzle connu d'avance, l'exploration des chambres du château se limitant à des espaces iconographiques qui sortent des parois et glissent latéralement pour venir s'empiler à cour. Entre design et effets d'ambiance, les inoffensives vidéos de Denis Guéguin projettent l'image d'un enfant maltraité, sans doute victime séquestrée d'un énigmatique tortionnaire.
Limitant son travail à une atmosphère faite d'un recyclage de bonnes recettes, Warlikowski n'atteint pas ici à la prolifération d'idées et d'images qu'il a su démontrer dans nombre de productions. Seules les citations de la Belle et la Bête de Cocteau auraient pu – si elles avaient été mieux traitées – prétendre à des échappées réflexives suffisamment puissantes pour justifier le rapprochement des deux œuvres.
Impossible cependant de trouver dans la Voix humaine de Poulenc les échos imaginaires qui feraient apparaître au grand jour l'intérêt de ce couplage. Jamais sans doute, le livret de Jean Cocteau n'aura semblé si mince… malgré les efforts de Barbara Hannigan pour l'imposer par un jeu à sens unique et une présence expressionniste.
Élevée (à tort) au rang d'idées de mise en scène : le monologue sans téléphone et le meurtre de l'amant. La première oblige la soliste à arpenter la scène pendant quarante minutes, avec quelques projections vidéo prises de dessus pour tromper l'ennui ; la seconde se déduit du spectacle assez pénible d'un acteur ensanglanté et titubant qui émerge du fond de la scène pour terminer sa course sur le divan, lieu du suicide final.
Il est difficile de dégager les grandes lignes d'un plateau vocal dépareillé par la conjonction de deux œuvres au langage et à l'univers si opposé. Si Barbara Hannigan sait par le magnétisme de son jeu et ce parlé-chanté hystérique, faire oublier la modestie de sa projection et une ligne assez monochrome, la Judith d’Ekaterina Gubanova l'emporte par le volume et la profondeur du phrasé sur le charbonneux John Relyea, Barbe-bleue atrabilaire et peu engagé.
Cherchant aux antipodes de la noirceur de la scène, une luminosité assez lisse et des effets de belle facture mais à la surface des notes, Esa-Pekka Salonen a le mérite de donner de la cohérence à cette production. Malgré des cuivres clairets et des cordes à l'expressivité un rien trop contenue, l'Orchestre de l'Opéra de Paris déplace l'intérêt et le propos dramatique vers une beauté diaphane et très symphonique.
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