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CRITIQUES DE CONCERTS |
11 décembre 2024 |
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Ouverture de la saison de la Scala de Milan avec Giovanna d’Arco de Verdi dans une mise en scène de Patrice Caurier & Moshe Leiser, et sous la direction de Riccardo Chailly.
Gloire Ă Jeanne !
La Scala fait l’étonnant pari d’ouvrir sa saison avec la Giovanna d’Arco de Verdi ; pari réussi grâce à une équipe musicale idéale, portée par Anna Netrebko, Francesco Meli et une fosse des grands soirs ajustée par Riccardo Chailly. Sans transcender un livret médiocre, la mise en scène de Patrice Caurier et Moshe Leiser convainc en seconde partie.
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En attendant les prochaines élections pour que l’Opéra de Paris ouvre chaque saison avec Jeanne d’Arc, c’est pour le moment le nouvel intendant de la Scala, Alexander Pereira, qui fait cette proposition surprenante pour sa première production de sa deuxième saison milanaise.
Jamais remonté depuis 1865 dans le théâtre le plus lié à Verdi, ce choix s’intègre en regard du reste de la programmation et se démarque du prédécesseur Stéphane Lissner, quant à la place principale redonnée au répertoire italien. Pour cela, Pereira fait appel aux meilleurs interprètes et prouve au passage que le chant italien se porte bien, et qu’il existe aujourd’hui toutes les forces nécessaires pour distribuer les grands ouvrages verdiens ou belcantistes.
Composé en 1845 à l’âge de 32 ans, Giovanna d’Arco n’est pas du meilleur Verdi, même s’il dépasse Ernani et I Due Foscari créés quelques mois plus tôt à Florence et Rome. L’œuvre marque à l’époque le retour du compositeur dans le théâtre qui lui a donné un triomphe trois années plus tôt avec Nabucco, mais aussi celui qui va l’en écarter pendant trente-six années suite à la violence des critiques, son passage à la postérité étant surtout redevable au thème principal (une marche cavalière légère), repris à plusieurs reprises pour soutenir Giovanna.
Moshe Leiser et Patrice Caurier cherchent à solutionner un livret simple mais bancal de Temistocle Solera, d’après une pièce déjà discutable de Schiller où Jeanne d’Arc meurt sur un champ de bataille, en transposant le cadre de l’action dans un appartement bourgeois. Dans celui-ci se trouve à jardin un lit qui restera là tout au long des quatre actes, où se réveille Giovanna, dont on ne sait dès le début si elle est en proie aux rêves ou à la folie. Les vidéos et les déplacements des parois lui intégreront des images de l’enfer et de vrais diables sur scène, tandis qu’un amas de meubles au III créera un bûcher, solution trouvée par les metteurs en scène pour rapprocher la pièce de la réalité historique.
Les costumes XIXe du père et de Talbot dépareillent avec l’armure moyenâgeuse du Roi Carlo VII, entièrement doré des pieds au visage, tenu par un Francesco Meli qui n’en finit plus de gagner en présence et en qualité de ligne. Sa Cavatine dès le prologue montre l’élargissement de la voix depuis quelques années et un timbre superbe du médium à l’aigu, tout juste affecté par quelques notes écourtées en fin de phrase.
D’abord jeune fille de bonne famille, Giovanna coupe ses nattes et raccourcit son habit pour s’approcher de celui blanc et pur qu’on lui connaît dans l’imaginaire historique ; son personnage étant traité en martyr, on retrouve Anna Netrebko portant à genou sa croix et confondue à plusieurs reprises avec le Christ, avec qui elle partage de tutoyer les anges lorsqu’elle ouvre la bouche. Sa première aria alors qu’elle est déjà sur scène depuis vingt minutes manque encore de chaleur, mais le duo amoureux avec Carlo la réveille, tandis qu’elle s’élève en seconde partie pour s’envoler définitivement au dernier acte.
Pour compléter ce cast de stars en remplaçant Carlos Alvarez souffrant, Devid Cecconi s’accorde bien au rôle de Giacomo par une voix de basse légère, ce méchant verdien étant aussi le père de Giovanna, dont le timbre ne mérite pas forcément trop de noirceur. Michele Mauro campe un Delil agréable et Dmitri Beloselski un Talbot bien portant, tandis que le chœur déçoit en n’étant pas au niveau de sa réputation à son entrée, même s’il gagne en dynamique et en présence ensuite, sans jamais transcender ni complètement persuader dans la franchise des attaques.
La réussite de la soirée tient aussi principalement à la fosse, où l’orchestre montre encore une fois la qualité de ses solistes dans les vents. Riccardo Chailly donne un Verdi dynamique qui rappelle les grandes heures du théâtre ; il soutient l’action par des ruptures, des changements brusques et des attaques de cordes franches, mais aussi une légèreté telle que la partition ne semble jamais pompière. Le chef milanais porte les duos amoureux comme un troisième homme et prouve s’il était encore besoin après Turandot qu’il compte bien maintenir la scène italienne parmi les meilleures du monde.
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