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CRITIQUES DE CONCERTS |
04 octobre 2024 |
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Première à l'Opéra de Paris du Trouvère de Verdi dans la mise en scène d’Alex Ollé, sous la direction de Daniele Callegari.
Verdi ressuscité
Poignante représentation du Trouvère de Verdi à l’Opéra de Paris, où la force du drame romantique s’impose grâce à une distribution idéale, la direction musicale brillante de Daniele Callegari et la mise en scène intelligente d’Alex Ollé où une direction d’acteurs magistrale estompe quelques inutiles gadgets. Une grande soirée d’opéra.
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Verdi reste à la mode et continue à occuper une place de choix dans toute programmation d’opéra qui se respecte. Il subit du même coup tant de massacres de la part de metteurs en scène qui se croient plus forts que la musique et imposent des images et même des histoires sans aucun rapport avec la partition, qu’on se félicite avec joie de voir et d’entendre enfin un Trouvère où l’on va à l’essentiel. Et le Trouvère, avec son intrigue pour le moins compliquée, n’est pas l’opéra le plus facile à servir de manière exhaustive.
Stéphane Lissner a d’abord su rassembler une distribution difficile à surpasser aujourd’hui. Pour les quatre rôles principaux, quatre voix parmi les plus belles de la scène lyrique actuelle. Pour les rôles, disons, moins importants, d’excellents chanteurs leur rendant toute la justice possible. Au pupitre, un chef menant solistes et chœurs avec le sens le plus aigu, le plus exact de la dynamique fondamental de cette musique, de ses chocs de rythmes, menant tout son monde avec une flamboyante ardeur qui les propulse inexorablement vers la conclusion tragique du drame.
Et puis, un metteur en scène qui a su traiter ce qui est important dans l’œuvre, ses thèmes fondamentaux, en parvenant à faire jouer les chanteurs comme de vrais tragédiens, y compris ceux qui, voix immenses, n’ont pas toujours la réputation d’être des bêtes de scène. Il en résulte un spectacle d’une force dramatique majeure, qui vous tient en haleine de la première à la dernière note, même quand la partition vous est plus que familière.
Alex Ollé, célèbre pour son travail avec La Fura dels Baus, s’est attaché à mettre en images les thèmes fondamentaux de ce drame quasi shakespearien : la nuit, le feu, la guerre, la passion, la mort. Dès lors, il importe peu qu’il ait choisi de situer l’action pendant la Première Guerre mondiale, ce qui laisse traîner ici ou là quelques accessoires pas indispensables, comme ces masques à gaz au lever du rideau, vite enlevés, vite oubliés. Il joue courageusement la carte du réalisme pour les costumes, avec de très rares taches de couleurs, comme la tenue de Léonore au premier acte. Sinon, nous sommes dans une monochromie qui permet au jeu théâtral de tout exprimer.
L’astucieux dispositif scénique d’Alfons Flores est d’une grande efficacité, avec ses colonnes carrées qui s’élèvent ou s’enfoncent dans le sol, révélant ou bouchant de mystérieuses fosses d’où peuvent surgir flammes ou soldats, créant des espaces toujours différents, décor à la fois unique et multiple, entouré de miroirs légèrement ondulants qui donnent un reflet de l’action irréel, comme rêvé. Les lumières d’Urs Schönebaum sont elles aussi partie prenante de la réussite visuelle de ce climat tragique où le mal traque l’âme humaine sans relâche.
Ollé a su communiquer à tous les chanteurs une ardeur, un investissement passionné de chaque instant. Cela ne surprend pas de grands tempéraments connus comme ceux d’Anna Netrebko (Léonore) ou d’Ekaterina Semenchuk (Azucena), vrai mezzo Verdi, c’est-à -dire pouvant se mouvoir sans problème sur une tessiture quasi identique à celle du soprano mais dans des couleurs autres.
Mais reconnaissons que Ludovic Tézier ou Marcelo Alvarez, somptueux chanteurs, ne nous ont pas toujours habitués à une aussi convaincante et forte présence dramatique. Leur interprétation vocale à tous, y compris le Ferrando de Roberto Tagliavini, va de pair avec leur jeu, projection irrésistible, sans la moindre faille technique quelle que soit la tessiture. Vraiment impressionnant si l’on songe au si piètre usage fait récemment dans la Damnation de Faust de grands acteurs nés comme Koch, Kaufmann ou Terfel.
Les chœurs, magnifiques, l’orchestre, aussi exact et subtil dans les passages de quasi musique de chambre que vigoureux dans les tourments emportés des grands élans passionnels, brille de mille feux, dynamisé par l’ardeur d’un chef véritable maître d’œuvre lui aussi du spectacle. Bref, une fois admise la présence il est vraie un peu incongrue d’un Trouvère dans cet univers guerrier à cette époque… on y croit à chaque instant et on ne chipotera pas sur tel détail innovant comme l’exécution de Manrico et d’Azucena d’un coup de revolver, pas plus que sur le léger fléchissement vocal d’Alvarez en seconde partie. Un petit rhume ? Dès sa première entrée en scène, par ailleurs très bien conçue, il s’est beaucoup frotté le nez avec sa manche…
Énorme succès pour les chanteurs, le chef et l’orchestre, quelques sifflets d’usage pour l’équipe de production, mais si peu. Ce fut un grand soir d’opéra.
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Opéra Bastille, Paris Le 31/01/2016 Gérard MANNONI |
| Première à l'Opéra de Paris du Trouvère de Verdi dans la mise en scène d’Alex Ollé, sous la direction de Daniele Callegari. | Guiseppe Verdi (1813-1901)
Il Trovatore, opéra en quatre actes (1853)
Livret Salvatore Cammarano d’après El Trovador d’Antonio GarcĂa GutiĂ©rrez
Coproduction avec De Nationale Opera, Amsterdam
Chœurs et Orchestre de l’Opéra national de Paris
direction : Daniele Callegari
mise en scène : Alex Ollé
décors : Alfon Flores
costumes : Lluc Castells
éclairages : Urs Schönebaum
préparation des chœurs : José Luis basso
Avec :
Ludovic Tézier (Il Conte di Luna), Anna Netrebko (Leonora), Ekaterina Semenchuk (Azucena), Marcelo Alvarez (Manrico), Roberto Tagliavini (Ferrando), Marion Lebègue (Inès), Olevksiy Palchykov (Ruiz), Constantin Ghircau (un vecchio zingaro), Cyrille Lovighi (un messo). | |
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