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CRITIQUES DE CONCERTS |
10 octobre 2024 |
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Nouvelle production de la Juive d’Halévy dans une mise en scène de Calixto Bieito et sous la direction de Bertrand de Billy à l’Opéra de Munich.
Conflits religieux
La mise en scène de Calixto Bieito développe la Juive en replaçant les questions religieuses dans des problématiques contemporaines. Bertrand de Billy donne de belles couleurs à cette partition empreinte de Bel canto, tandis que la distribution fait ressortir la prestation de Roberto Alagna et la diction impeccable d’Ain Anger.
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Grand-opéra à la française créé en 1835 à l’époque où Meyerbeer était roi à Paris, la Juive d’Halévy profite cette saison de plusieurs nouvelles productions, dont celle d’Olivier Py à Lyon avant Calixto Bieito pour le festival de Munich. Dans cette dernière, la scénographie de Rebecca Ringst joue sur des tons noirs dans des lumières de pénombre (Michael Bauer) rappelant à certains le Lear parisien du mois de mai. Mais si les liens entre les mises en scènes du Barcelonais sont visibles entre eux, sa réflexion sur chaque œuvre est différenciée.
Ajouté avant l’ouverture, un Te deum pour chœur et orgue est retransmis en hauteur pour donner dès l’introduction un caractère liturgique appuyé. Puis la scène d’église laisse place à un baptême d’enfants violemment secoués pour que leurs têtes soient plongées dans les bassins à terre devant eux. À son arrivée, la Juive Rachel se sert de l’un des bacs pour y tremper naïvement sa serpillère et laver le sol. Le Juif est donc dès le début blasphémateur, non intégré à la pensée chrétienne, ou en tout cas au fanatisme chrétien, aveugle comme le montrent les yeux bandés des choristes.
Plus qu’une scénographie, ce travail est une iconographie autour des relations interreligieuses. Le mur du fond ressemble à s’y méprendre à celui construit par Israël à la frontière palestinienne ; il sert de délimitation, notamment à l’arrivée de Léopold, lui d’un côté, la foule de l’autre. Certaines unités s’en décaleront, laissant une brèche de passage entre deux mondes. Lorsqu’il tourne sur sa tranche, on le voit composé de blocs aussi longs que larges, rappelant le monument en hommage au génocide sur l’emplacement du bunker d’Hitler à Berlin ; audacieuse, l’idée insinuerait d’emblée la condamnation à mort du Juif pour sa simple appartenance religieuse.
Parmi les superbes autres idées de Bieito, le premier air de Léopold est une provocation. Tenu par l’excellent John Osborn, dont le timbre jeune se démarque immédiatement de celui plus mature de Roberto Alagna, son aria est chantée en hauteur sur une échelle du mur, dérangée d’abord par des enfants joueurs puis par une petite fille en pleurs. Dans le duo Eléazar-Brogni, avant le célèbre Rachel quand du seigneur magnifiquement tenu par Alagna, superbe par le soin et la finesse apportés au chant et à la diction, le Cardinal Brogni lave les pieds du Juif en lui demandant où est sa fille, renvoyant à la scène biblique de Madeleine pénitente lavant les pieds de Jésus, créant une inversion des rapports de force et une assimilation du Juif à un martyre innocent ; idée renforcée par les vidéos de l’Agnus dei projetées à plusieurs reprises.
La dernière scène de supplice montre une cage de métal dans laquelle est insérée Rachel avant de prendre feu ; elle ressemble à s’y méprendre aux images horribles du pilote jordanien brûlé vif l’an passé par l’État islamique et donne un réalisme impressionnant au châtiment infligé par la Chrétienté du XVe siècle, pour seul crime de ne pas penser comme la masse.
Plus travaillée dans les scènes de groupe que dans l’intimisme, la production profite de la direction dynamique de Bertrand de Billy. Le début du II évoque Beethoven, tandis que l’on retrouve les effets de grand-opéra à la française dans les scènes de chœur et une légèreté belcantiste dans nombre de passages, rarement aussi raffinés dans la fosse bavaroise. Outre les deux ténors globalement excellents, la basse Ain Anger livre un magnifique Cardinal aux graves profonds et à la diction impressionnante.
Les hommes de la troupe ne déméritent pas, de l’Albert de Tareq Nazmi au Ruggiero impliqué de Johannes Kammler. La distribution féminine devait accueillir Kristine Opolais dans le lourd rôle de Rachel. Son annulation a donné lieu à une inversion et Aleksandra Kurzak d’abord prévue en Eudoxie a pris la place principale. Sa voix a suffisamment de puissance et couvre sans problème la tessiture, surtout dans l’aigu, mais on ressent de la fatigue en seconde partie. Sa rivale est tenue par la fraîche Vera-Lotte Böcker, entendue cette année en Eudoxie dans la nouvelle production de Mannheim ; le chant est parfois imprécis mais le timbre beau, visiblement assez pour en mourir.
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Nationaltheater, MĂĽnchen Le 26/06/2016 Vincent GUILLEMIN |
| Nouvelle production de la Juive d’Halévy dans une mise en scène de Calixto Bieito et sous la direction de Bertrand de Billy à l’Opéra de Munich. | Fromental Halévy (1799-1862)
La Juive, opéra en cinq actes (1835)
Livret d’Eugène Scribe
Chor der Bayerischen Staatsoper
Bayerisches Staatsorchester
direction : Bertrand de Billy
mise en scène : Calixto Bieito
décors : Rebecca Ringst
costumes : Ingo KrĂĽgler
vidéos : Sarah Derendinger
Ă©clairages : Michael Bauer
préparation des chœurs : Sören Eckhoff
Avec :
Aleksandra Kurzak (Rachel), Roberto Alagna (Le Juif Eléazar), John Osborn (Léopold), Vera-Lotte Böcker (La Princesse Eudoxie), Ain Anger (Le Cardinal Jean-François de Brogni), Johannes Kammler (Ruggiero), Tareq Nazmi (Albert), Christian Rieger (Hérault), Peter Lobert (Un Bourreau). | |
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