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CRITIQUES DE CONCERTS |
11 octobre 2024 |
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Reprise de Grandeur et décadence de la ville de Mahagonny de Weill dans la mise en scène de Calixto Bieito, sous la direction de Dmitri Jurowski à l’Opéra des Flandres.
Tristes humains
Magnifique dans sa globalité, le Mahagonny de Calixto Bieito ramène l’humain à sa plus basse bêtise, transformant la ville éphémère en lieu de débauche où tout tourne autour de la malbouffe, du sexe et de l’alcool. Il est assisté par une troupe de chanteurs-acteurs particulièrement impliquée et un excellent orchestre dirigé par Dmitri Jurowski.
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Étrénée en 2011, la mise en scène de Mahagonny de Calixto Bieito trouve toujours autant d’efficacité cinq années plus tard. Sa ville créée par des brigands et fabriquée rapidement de mobil-homes et caravanes répond encore au livret de Brecht sur la déchéance humaine du vouloir-vivre de plaisirs trop simples permis par l’argent facile.
Les uns se goinfrent de nourriture dégueulasse, les autres de bières, et des filles dénudées s’offrent à qui veut baiser ; il suffit de choisir entre jeune blonde tout juste majeure, indienne ou asiatique. De l’alcool et des putes, un rêve contemporain pour beaufs en mal d’argent… Si ce traitement était aussi simple, il serait trop évident, mais Bieito y ajoute l’intelligence du geste ; une Jenny coiffée et habillée comme Rihanna, et au milieu de ce bordel une jeune fille pleurant papa et maman au I, retrouvée en jupe dorée avec une banderole Queen of Porn au III, la bouche dégoulinante de sperme.
La scène de première crise a été retouchée depuis 2011, car sur la caravane où l’on peint en allemand « J’aime l’économie » est maintenant aussi apposé « Brexit ». Aucune image n’est gratuite, comme ce Ronald McDonald parmi le chœur, ce cuisinier de fast-food parmi les chanteurs ou Moses en habit de Cardinal. Des nombreuses scènes de stripteases ressort celle d’une femme forte avec Trinity Moses tenant une casserole de pâtes qu’il glisse sur le corps féminin en allusion à la Grande bouffe de Marco Ferreri, tandis qu’on retrouve ensuite l’inspiration des films américains dissidents post-mai 68 et les univers de David Lynch.
Le seul reproche à ce spectacle est qu’il moque le pauvre devenu riche, alors que Brecht voulait mettre le bourgeois face à ses réalités, c’est-à -dire le spectateur dans la salle. À part sur le voyeurisme, le public d’Anvers n’est jamais touché dans son estime et sa vie dans le monde capitaliste contemporain, là où une transposition en entreprise dans un milieu de cadres aurait apporté plus d’introspection.
Cette remarque d’importance n’enlève rien à la force d’un spectacle où chanteurs et acteurs passent une partie de leur temps dans le public, dont tout le final sur l’enfer, entièrement chanté par des artistes au parterre et aux balcons. Dmitri Jurowski fournit alors un fantastique travail de direction dans lequel il ne décale jamais l’ensemble et apporte couleur et rythme à un superbe orchestre dont les cordes se démarquent lorsqu’il faut paraphraser Wagner et les cuivres et banjo lorsqu’il faut chatouiller les sonorités de l’Oklahoma.
La distribution mêle chanteurs confirmés et jeunes artistes. Renée Morloc tient une Begbick parfois un peu criée mais très crédible, tandis que Simon Neal impressionne en Moses, tant par l’implication d’acteur que par un chant toujours clair et impeccablement placé. Jim Mahonney est très bien tenu par le ténor Ladislav Elgr, mais il manque d’impact face à ses prédécesseurs dans le rôle bien que sa mort dans un caddy électrique soit parfaitement valable.
Michael J. Scott en excellent Fatty marque moins qu’Adam Smith dans le rôle de Jack et surtout que Leonard Bernad, basse très expressive pour le personnage de Joe. La Jenny de Tineke Van Ingelgem est particulièrement adaptée au style de l’opéra et de la mise en scène ; elle réussit une intelligente Alabama Song à laquelle un peu plus d’aigus n’aurait pas nui. Malgré ces quelques réserves, on ressort soufflé de cette expérience, marquante sans pour autant apporter à réfléchir sur son propre cas.
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Opéra des Flandres, Anvers Le 29/06/2016 Vincent GUILLEMIN |
| Reprise de Grandeur et décadence de la ville de Mahagonny de Weill dans la mise en scène de Calixto Bieito, sous la direction de Dmitri Jurowski à l’Opéra des Flandres. | Kurt Weill (1900-1950)
Aufstieg und Fall der Stadt Mahagonny, opéra en trois actes
Livret de Bertolt Brecht
Koor Opera Vlaanderen
Symfonisch Orkest Opera Vlaanderen
direction : Dmitri Jurowski
mise en scène : Calixto Bieito
assistant régie : Marcos Darbyshire
décors : Rebecca Ringst
costumes : Ingo KrĂśgler
Ă©clairages : Franck Evin
préparation des chœurs : Franz Klee
Avec : Renée Morloc (Leokadja Begbick), Michael J.Scott (Fatty der Prokurist), Simon Neal (Dreieinigkeitsmoses), Ladislav Elgr (Jimmy Mahoney), Tineke Van Ingelgem (Jenny Hill), Adam Smith (Jack O’Brien/Tobby Higgins), William Berger (Bill, Sparbüchsenbilly), Leonard Bernad (Joe, Alaskawolfjoe), Guntbert Warns (Acteur). | |
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