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CRITIQUES DE CONCERTS |
11 octobre 2024 |
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Première à l’Opéra du Rhin du Tour d’écrou de Britten dans la mise en scène de Robert Carsen, sous la direction de Patrick Davin.
Manoir, mon beau manoir…
Belle ouverture de saison à Strasbourg, où l’Opéra du Rhin reprend, avec une bonne direction et un plateau moyen, le Tour d’écrou conçu par Robert Carsen pour le Theater an der Wien. Souvent déçu récemment par l’académisme grandissant du Canadien, on reconnaît de réelles qualités à ce Britten à la scénographie de toute beauté, éclairé à la perfection.
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En septembre 2011, Robert Carsen présentait au Theater an der Wien sa vision du Tour d’écrou de Britten, avec pour la première fois sa participation aux costumes et au décor, dans une production saluée comme une belle réussite d’un metteur en scène aujourd’hui symbole d’une forme de classicisme moderne dans le monde lyrique. Importateur du spectacle, l’Opéra du Rhin le propose à son tour, d’abord à Strasbourg puis à Mulhouse, en ouverture de saison 2016-2017.
Sans jamais se départir de son esthétique un peu lisse, Carsen parvient à servir cette intrigue fantomatique avec un recours habile à la vidéo en contrepoint de l’action principale, chacune des dix-sept scènes du livret ouverte et fermée par une sorte d’oculus. Envisagée comme un hommage au cinéma muet, sa mise en scène sait distiller le trouble de la présence surnaturelle de Quint, dont l’apparition derrière la fenêtre en image incrustée fait froid dans le dos, ainsi qu’une manière de désir à travers le rêve érotique de la Gouvernante, endormie dans un lit à la verticale (une image empruntée depuis par Olivier Py pour ses Dialogues des Carmélites), songe-vidéo en surimpression où Jessel et le serviteur s’enlacent à la manière des films de vampires des années 1930.
L’autre point fort du spectacle réside dans sa scénographie, un manoir de Bly vu sous toutes les coutures grâce au décor manipulé avec virtuosité par une quinzaine de techniciens chaleureusement applaudis aux saluts, intérieur sans meubles aux hauts murs, dans des nuances de gris d’une amorce de mauvais rêve, laissant filtrer par la fenêtre des images de nature en noir et blanc s’irisant au gré du vent. Comment ne pas saluer enfin la beauté des éclairages, latéraux et rasants, projetant autant d’ombres sur les consciences ? On regrettera au final seulement un II plus paresseux, au dénouement sans force dramatique par rapport à des productions récentes comme celles de Jonathan Kent à Glyndebourne ou Valentina Carrasco à Lyon.
Plus cruelle et aiguisée que la vision scénique, la direction au scalpel de Patrick Davin choisit, plutôt qu’un inquiétant flou guère dans ses habitudes, d’exposer en lumière crue et avec une présence sonore parfois excessive malgré seulement treize instrumentistes en fosse, le langage si particulier de Britten, timbres coupants, vraie dynamique du rythme et beau sens du drame, avec un Orchestre symphonique de Mulhouse parfois fragile ou trop concret (la clarinette) mais aux quelques individualités remarquables (la mixture flûte en sol-clarinette basse).
On restera en revanche sur notre faim quant à la distribution, où seuls les enfants convainquent, quand bien même leur positionnement fréquent en fond de scène ne les aide pas à passer l’orchestre. Car le Peter Quint surdimensionné de Nikolaï Schukoff, un bon Parsifal, peine à alléger sans y laisser timbre et intonation, à l’étroit dans une vocalité éloignée de son biotope, aussi gêné aux entournures que la Gouvernante de Heather Newhouse, aigus instables et trémulants, déclamation pauvre en relief.
Quant à la Mrs Grose écorchée d’Anne Mason et la Miss Jessel au singing formant de walkyrie de Cheryl Barker, elles enferment leurs rôles dans le stéréotype, loin de la richesse psychologique de ces personnages féminins secondaires qui sont une mine d’or du répertoire opératique britannique. Plateau insuffisant donc pour parer un spectacle d’excellente facture, qui compte parmi les réussites récentes de Robert Carsen.
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