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CRITIQUES DE CONCERTS |
13 octobre 2024 |
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Nouvelle production de Pelléas et Mélisande de Debussy dans une mise en scène de Barbora Horáková Joly sous la direction de Karl-Heinz Steffens à l’Opéra d’Oslo.
Le trauma de MĂ©lisande
Remplaçant Simon Stone pour la nouvelle production du chef-d’œuvre de Debussy à l’Opéra d’Oslo, Barbora Horáková Joly propose une mise en scène radicale et glacée autour d’une Mélisande traumatisée, magnifique en la figure d’Ingeborg Gillebo, accompagnée en fosse par la direction sensible et délicate de Karl-Heinz Steffens.
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Assistante de Calixto Bieito sur des productions d’importance comme le récent Tannhäuser d’Anvers ou la Juive de Munich, ou encore de David Bösch sur les Stigmatisés à Lyon, Barbora Horáková Joly remplace à Oslo le radical Simon Stone d’abord prévu, pour proposer elle-même une mise en scène au radicalisme sans doute discutable, mais d’une terrible et triste efficacité.
Dans un décor clinique de Ralph Myers & Eva-Maria Van Acker, fait de carreaux blancs du sol au plafond, sous les éclairages blafards de tubes fluorescents de James Farncombe, tournant tout juste parfois vers le bleu pâle ou le violet froid, la jeune metteuse en scène intègre sa réflexion autour d’une Mélisande à fleur de peau, heurtée par l’existence.
Son apparition sur une chaise, alors que du sang à l’entre-jambe évoque une fausse-couche ou un avortement sauvage, se prolonge dans le regard halluciné de la chanteuse Ingeborg Gillebo. La soprano prend le rôle et comme tout le plateau, elle le tient dans un français parfaitement compréhensible, en plus de développer une élocution très émotive, vulnérable dans les scènes face à Golaud, délicate le reste du temps.
Le décor évolue peu mais les panneaux s’y décalent afin de moduler l’espace, accompagnés par un superbe jeu de double-rideaux, créant des ouvertures en coin du plus bel effet. On ne sait qui est cette Mélisande et ce qu’elle a subi, mais on la voit passive face à un Golaud lui imposant des actes sexuels auxquels elle ne réagit même plus. L’homme est tenu par Paul Gay, également impeccable dans la diction, dont le chant tourne parfois presque à la récitation théâtrale, tout comme celui du Pelléas d’Edward Nelson, baryton sensible dont la belle plastique donne une crédibilité au jeune homme à la voix bien projetée.
La scène de la lettre trouve une lecture émotionnelle sous la mezzo Randi Stene, et un Arkel complexé avec Anders Lorentzson, souvent assis dos à la scène dans son grand fauteuil en cuir marron qui dénote avec le reste du décor. La scène de la fontaine s’intègre au milieu de blocs de fleurs de cour de HLM, maintenant une ambiance glacée même dans ce tableau, aussi gelé que celui de la grotte, où des malades se cachent immobiles sous leurs lits d’hôpital, comme enterrés vivants.
Il faut enfin louer la prestation d’Yniold, tenu par un enfant, la star norvégienne Aksel Rykkvin, hallucinant dans la précision de son texte comme dans toute sa prestation. On ne sait si l’on a déjà vu fils de Golaud aussi parfait, qui porte en plus un rôle castrateur face à une Mélisande vers qui il tire des flèches invisibles qui l’atteindront aux parties génitales, devenant réalité lorsqu’on les retrouve dans sa chambre, plantées dans un amas de poupées déchiquetées, référence à une enfance difficile.
En fosse, l’Operaorkest d’Oslo déploie la beauté de ses timbres, souvent graves dans des contrebasses dont Karl-Heinz Steffens se sert parfaitement pour soutenir les scènes avec Golaud. Dans l’acoustique boisée du port de Norvège, la direction d’un chef qui vient tout juste d’annoncer ne pas prolonger son contrat après 2018 met en valeur des violons chauds et lyriques ainsi que la petite harmonie à sa gauche, avec de superbes interventions du hautbois, de la flûte et de la clarinette basse. Il accompagne l’histoire en déclamant le texte du bout des lèvres du début à la fin et confère à cette partition si sublime toute le symbolisme dont elle a besoin.
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