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CRITIQUES DE CONCERTS |
13 octobre 2024 |
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Mise en scène du War Requiem de Britten par Yoshi Oida sous la direction de Daniele Rustioni en ouverture de saison 2017-2018 de l’Opéra de Lyon.
Paix sur la Terre
Comme une réplique sismique de sa Jeanne au bûcher par Romeo Castellucci en janvier, l’Opéra de Lyon, récemment désigné comme meilleure scène européenne par le magazine Opernwelt, ouvre sa saison 2017-2018 avec un War Requiem de Britten à l’incroyable densité scénique et musicale, en forme de vibrant plaidoyer pour la paix.
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Passions de Bach, Jeanne d’Arc d’Honegger, le Messie : l’heure est aux mises en scène d’oratorio depuis le coup d’essai de Peter Sellars pour la Theodora de Haendel. Et si le principe d’imposer décors et costumes à des pièces conçues pour le concert ou la liturgie peut en soi laisser dubitatif, force est de reconnaître que les grands metteurs en scène savent souvent transcender le message des chefs-d’œuvre du répertoire sacré.
Ainsi, après une Jeanne au bûcher à marquer d’une pierre blanche en janvier, l’Opéra de Lyon fait cette fois le pari d’une version scénique du War Requiem de Britten en ouverture d’une saison 2017-2018 riche de promesses quoique d’emblée marquée par de fortes tensions entre la direction et les syndicats de la maison. Et la scène n’oblitère à aucun moment des ses soixante-quinze minutes un ouvrage célébrant en 1962 la réouverture de la cathédrale de Coventry détruite par les bombardements allemands de 1940.
Le Japonais Yoshi Oida, habitué de Britten in loco (Peter Grimes et Mort à Venise) sait imprimer un mélange de sobriété et de forte densité qui sont l’essence même du zen, plus proche de la mise en espace que d’une vraie mise en scène, accompagnant les alternances de liturgie traditionnelle en latin confiée aux chœurs, au grand orchestre et à la soprano, et de mise en musique des poèmes de Wilfred Owen, jeune Anglais mort sur le front en 1918, dévolus au ténor et au baryton accompagnés par un orchestre réduit sur scène, avec une grande économie de gestes axée sur les symboles.
En une lente temporalité ritualisée, les corps disparaissent dans des cercueils, sous des drapeaux, tous égaux devant la mort, quand ils ne sont pas simplement absents, et qu’il ne reste qu’un casque, des vêtements ou des bottes. Et d’approfondir ce sentiment de déréliction par une poignante mise en abyme, le soldat allemand (baryton) cherchant à amuser les enfants qu’il n’aura jamais avec ses marionnettes d’Abraham sacrifiant bel et bien Isaac, puis fraternisant finalement avec l’ennemi anglais (ténor), tandis que la soprano, ici la compagne du poète, couvrira d’un linceul blanc le portrait d’Owen au tomber de rideau.
Le chœur, foule d’anonymes, saluant dans le silence et sous des parapluies des dépouilles de soldats, exprimant son humanité en priant ses disparus avec des bougies ou des photos, ainsi que les enfants, dirigés sur scène par leur chef habillée en bonne sœur, avec une extrême sobriété non dénuée de tension, participent en plein à une vision constamment au service du climat si particulier de l’œuvre, fruit du pacifisme jamais démenti du compositeur.
Quant à la musique, elle évolue sur les mêmes cimes grâce au geste fédérateur, vif, soulevant masses chorales comme passages à la lisière du silence, du nouveau directeur musical Daniele Rustioni, aussi à l’aise dans cette fresque sacrée que dans la dramaturgie explosive d’un opéra de Verdi. Les chœurs, notamment, se livrent à d’immenses contrastes dynamiques, depuis les déflagrations tétanisantes du second Dies irae jusqu’aux ultimes mesures, quasi murmurées, du Libera me, sans oublier des voix d’enfants d’une justesse et d’une précision rythmique infaillibles.
Le plateau, élément le moins incontestable de cette production, propose le baryton très actif mais souvent trop monolithique de Lauri Vasar, la soprano d’Ekaterina Scherbachenko, bien meilleure dans les mixtures à mi-voix avec la flûte du Lacrimosa que dans les grands éclats, tous deux s’effaçant au final devant le ténor idéal de Paul Groves, déclamation et couleur idoines, demi-teinte digne d’un Peter Pears – dona nobis pacem de l’Agnus Dei.
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