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CRITIQUES DE CONCERTS |
10 décembre 2024 |
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Nouvelle production de Don Carlos de Verdi dans une mise en scène de Krzysztof Warlikowski et sous la direction de Philippe Jordan à l’Opéra de Paris.
Carlos et Juliette
Riche en détails insignifiants pour faire moderne, passant à côté de l’essentiel, dans des décors mornes par instants animés d’étranges projections, mais forte musicalement, cette nouvelle production de Don Carlos est d’une triste médiocrité et s’achève comme Roméo et Juliette, Carlos un revolver sur la tempe et Elisabeth s’empoisonnant. De qui se moque-t-on ?
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Warlikowski, dont on a vu voici quelques années d’étonnantes mises en scènes, l’un des plus brillants hommes de théâtre du moment, s’est pris les pieds dans le drame de Schiller revu par Verdi et donné ici dans sa version originale en cinq actes et en français. À quoi bon, d’ailleurs, revenir à l’acte de Fontainebleau où la future reine se perd dans la forêt pour avoir ici une vaste pièce lambrissée comme une antichambre de notaire, où n’importe qui pourrait la retrouver en deux minutes ? À quoi bon aussi revenir au français avec une distribution presque entièrement étrangère, où, à part Tézier, qui donne une vraie leçon de chant et de diction, et par instants Kaufmann, tout le monde pourrait aussi bien chanter en serbo-croate, fort belle langue au demeurant. Une exception aussi pour le beau page d’Ève-Maud Hubeaux.
Pour les personnages, allons à l’essentiel. Carlos est un névrosé plein de tics. Kaufmann n’a pas de chance sur cette scène, déjà son Lohengrin étant du genre looser et froussard. Philippe II est un colosse nettement porté sur l’alcool et les femmes, plus bestial que royal. La reine comme Eboli sont habillées, coiffées et se comportent comme des espionnes de polar hollywoodien des années 1950. Seul Posa, grâce à la sobriété habituelle de Tézier, a quelque consistance dramatique et parvient à émouvoir. À noter que tout le monde a souvent la cigarette à la bouche, puisqu’on est en costumes contemporains. Avant d’aborder et d’attaquer son père à la scène de l’autodafé, Carlos fume dans un coin sombre quelque chose qui pourrait bien être un joint, pour se donner du courage, sans doute… Même le Grand Inquisiteur y va de sa cigarette. Voilà .
Ah oui, le jardin de la reine où s’ébat Eboli est une salle d’escrime, mais surtout, on découvre avec intérêt qu’Elisabeth de Valois, à la scène finale, se suicide en avalant du poison, telle Juliette, en voyant Carlos, revolver sur la tempe prêt à en finir lui aussi. L’apparition du grand-père moine Charles Quint passe presque inaperçue. Mais où Warlikowski a-t-il été chercher cela et comment s’arroge-t-il le droit de modifier la fin d’un chef-d’œuvre comme celui-ci ? Côté décors, c’est une suite de non-lieux interchangeables, sauf peut-être celui de l’autodafé, assez réussi grâce aux effets de rideaux et de projections et malgré un seul figurant à griller. Tant mieux pour les autres !
Ludovic Tézier est un somptueux Posa, voix splendide, diction exemplaire et, pour une fois, il joue et on croit à son personnage. Jonas Kaufmann assume vaillamment son Carlos dégénéré sans doute proche de la vérité historique, et la voix, même menée avec prudence au début, a toujours des splendeurs à nulles autres pareilles. Ildar Abdrazakov, physique de Barbe-Bleue, a la voix idéale de Philippe II, même gêné par le français. Dimitri Belosselskiy est un Grand Inquisiteur qui devrait arrêter de fumer car il n’a pas de graves.
Belle Elisabeth de Sonya Yoncheva, voix fraîche et musicale, souple, mais quel dommage d’accoutrer cette belle femme de manière aussi grotesque ! L’Eboli d’Elina Garanča bénéficie du timbre riche et de la puissante émission de cette remarquable artiste, qui a l’air de bien s’amuser dans son personnage de vamp californienne. Mais c’est du très beau chant. Philippe Jordan, avec l’admirable Orchestre de l’Opéra, joue le jeu du grand opéra français en renonçant aux excès d’humeur italiens et en faisant miroiter toutes les richesses et les lumières de cette partition limpide mais passionnée, hors du temps et des styles. Du très beau travail.
Pourquoi Warlikowski est-il passé à côté des essentiels de l’ouvrage, attaque à la fois de la religion omnipotente, de la royauté mal éclairée et d’une passion sublime dans sa tentative de déjouer les traîtrises d’une société dissolue ? Pourquoi n’a-t-il inventé que des détails anecdotiques sans importance ni intérêt mais osé réécrire la conclusion de l’œuvre en confondant Don Carlos avec Roméo et Juliette ? Bref, que diable est-il aller faire dans cette galère ? Autant de questions sans réponses…
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Opéra Bastille, Paris Le 16/10/2017 Gérard MANNONI |
| Nouvelle production de Don Carlos de Verdi dans une mise en scène de Krzysztof Warlikowski et sous la direction de Philippe Jordan à l’Opéra de Paris. | Giuseppe Verdi (1813-1901)
Don Carlos, opéra en cinq actes (1867)
Livret de Joseph Méry et Camille du Locle d’après le drame de Schiller
Chœur et Orchestre de l’Opéra national de Paris
direction : Philippe Jordan
mise en scène : Krzysztof Warlikowski
décors & costumes : Malgorzata Szczesniak
éclairages : Felice Ross
vidéo : Denis Guéguin
préparation des chœurs : José-Luis Basso
Avec :
Ildar Abdrazakov (Philippe II), Jonas Kaufmann (Don Carlos), Ludovic Tézier (Rodrigue), Dimitri Belosselskiy (le Grand Inquisiteur), Sonya Yoncheva (Elisabeth de Valois), Elina Garanča (la Princesse Eboli), Krzysztof Baczyk (un Moine), Ève-Maud Hubeaux (un Page), Julien Dran (le Comte de Lerme), Silga Tiruma (Une voix du ciel), Tiago Matos, Michal Partyka, Mikhail Timoshenko, Tomasz Kumiega, Andrei Flionczyk, Daniel Giulianini (Députés flamands), Hyun-Jong Roh (un Hérault royal). | |
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