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CRITIQUES DE CONCERTS |
13 octobre 2024 |
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Requiem allemand de Brahms sous la direction d’Herbert Blomstedt à la Philharmonie de Paris.
In Paradisum
Le détour parisien du Gewandhaus de Leipzig sous la direction désormais incontournable d’Herbert Blomstedt confirme le magnifique été indien du maestro nonagénaire. Au programme du premier concert, un Requiem allemand d’une sérénité, d’une lumière automnale à pleurer, portées par un chœur viennois et un orchestre saxon inouïs.
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Évacuons d’emblée la seule réserve de ce Requiem allemand qui restera dans les annales de la Philharmonie de Paris, à savoir la prestation du baryton Michael Nagy, pas très juste, à contresens de l’esthétique globale, d’une émission wagnérienne hors de propos, la voix qui bouge dans les tenues, dans un emploi qui requiert davantage de sens et de vision prophétique.
À ses côtés, Hannah Morrison, qui remplaçait Genia Kühmeier avec la même lumière du timbre mais un format plus léger et viennois, à l’ancienne, vibrato serré ravissant, ne cherchant que soin de l’émission et sobriété mozartienne. Et même si la Néerlandaise glisse parfois entre les sons, sa manière de poser le grave sans poitriner renvoie à un art très pur en voie de disparition.
Reste qu’à une époque où la performance tend à l’emporter sur la signification, ce Requiem allemand est un plaidoyer pour la ferveur, qui irradie de chaque intervention chantée. Au sommet de son été indien, Herbert Blomstedt, 90 ans depuis le 11 juillet, peut se permettre une vision consolatrice, sereine et constamment lumineuse du chef-d’œuvre de Brahms, souvent obscurci par les baguettes germaniques ou à l’inverse abordé avec trop de clinquant.
Dès les premières mesures de Selig sind die Toten, le ton est donné, mélange de douceur de fin d’été et contemplation émerveillée d’une messe des morts pour les vivants, s’adressant au ciel sans viatique, à la manière luthérienne, ni la moindre ostentation. Les pages dramatiques passeront ainsi tels des nuages à peine menaçants, l’articulation du chœur dans Denn alles Fleisch plus déterminante que les trombones et martèlements de timbales.
Au bout de chaque phrase, la consolation, l’apaisement, une délivrance sans noirceur, apprivoisée – un Wie lieblich sind deine Wohnungen aux courbes mobiles et infinies. D’un bout à l’autre, Blomstedt, qui contrairement à tant de maestros n’a jamais ralenti ses tempi avec les ans et dirige de nouveau debout, remis de sa mauvaise chute d’il y a quelques mois, n’est que lumière et bienveillance, la partition fermée sur son pupitre.
Les passages fugués, constamment limpides, ne souffrent aucune surcharge, la polyphonie jamais écrasée par la nuance, d’une matière chorale qui respire et sait lâcher les sons, puissante et transparente à la fois. Et alors que le Jugement dernier vient de darder son aiguillon, l’ultime grande fugue Herr, du bist würdig marque une rupture de tempo attestant idéalement du changement de caractère de la colère à la célébration de la gloire.
La révélation reste toutefois le Wiener Singverein, tant médiatisé à l’époque Karajan dont les voix poussées, les sopranos plafonnantes rivalisant de vibrato ont subi deux générations plus tard un lifting incroyable. Le texte constamment audible, voyelles pures et consonnes idoines, jamais crachées comme lorsque les chœurs français singent l’allemand, d’une écoute sensible dans les unissons, cet ensemble non professionnel possède des teintes diaphanes inédites chez des effectifs approchant la centaine : sopranos laser à l’intonation millimétrée, altos très fines, ténors châtiés, arrondis dans l’aigu, basses timbrées clair et haut – Die Erlöseten des Herrn.
Si l’on ajoute à l’ensemble des couleurs orchestrales au merveilleux fondu, des harpes célestes en passant par la flûte suspendue et opalescente de Sébastian Jacot, on embarque sans escale pour un Deutsches Requiem direction In Paradisum.
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Philharmonie, Paris Le 23/10/2017 Yannick MILLON |
| Requiem allemand de Brahms sous la direction d’Herbert Blomstedt à la Philharmonie de Paris. | Johannes Brahms (1833-1897)
Ein deutsches Requiem op. 45
Hannah Morrison, soprano
Michael Nagy, baryton
Wiener Singverein
préparation : Johannes Prinz
Gewandhausorchester Leipzig
direction : Herbert Blomstedt | |
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