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CRITIQUES DE CONCERTS |
14 octobre 2024 |
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Reprise du Barbier de Séville de Rossini dans la mise en scène de Damiano Michieletto et sous la direction de Riccardo Frizza à l’Opéra de Paris.
Le Barbier de Grand-Papa
Dans sa mise en scène sans surprise de 2014, la production Michieletto du Barbier retrouve toute sa verve sous la direction de Ricardo Frizza. La faconde et la musicalité jubilatoire des interprètes, orchestre et chanteurs excellents, rendent justice à l’inspiration de Rossini malgré l’agitation qui règne dans un décor tel qu’on les prisait autrefois.
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Une rue foisonnante de couleurs et de scènes d’un quotidien populaire, figurants prenant l’air aux fenêtres où sèche le linge, sur le trottoir, à la terrasse du bistrot-glacier. Après une ouverture irrésistiblement interprétée par l’Orchestre de l’Opéra, violons aérés, d’une éloquence qui peu à peu s’enflamme sous la direction claire, précise, spontanément expressive de Riccardo Frizza, le rideau se lève et le regard s’y égare parmi moult détails sans rapport avec l’intrigue mais censés grouiller de vie, accumulés sous la férule du metteur en scène Damiano Michieletto et de son complice décorateur, Paolo Fantin. Le cadre est situé.
Les rapports déjantés des personnages de ce Barbier de Séville mettront un certain temps à émerger de son fouillis. Verve en crescendo, l’acte II triomphera de notre perplexité. Sommes-nous alors habitués à l’agitation qui règne sur le plateau de la Bastille et mieux aptes à en apprécier l’imagination foisonnante ? Au centre des façades tout le long de la rue, celle de l’immeuble de Bartolo, un homme dans la force de l’âge et plutôt séduisant auquel Simone Del Savio prête une lucide intelligence. Et devant sa porte, en short près de sa belle voiture bleue, ou assis sur son capot, ou caché d’un bond dans son coffre, Almaviva organise l’aubade pour sa belle enfermée là .
René Barbera possède la voix et l’aisance du Comte à défaut d’une allure un tant soit peu aristocratique. Quelle importance vu la qualité du Bel canto dans l’ambiance voulue de nos jours ? Michieletto prétend « pénétrer le cœur du livret et donner vie à ses personnages », mais fait fi de leur origine. Si Beaumarchais dénonce la société de son époque, la fustige, la caricature et la ridiculise avec l’audace qu’on lui connaît, Rossini s’en inspire et vocalise sa comédie avec autant d’esprit dans une écriture musicale elle aussi typique d’une époque que cette mise en scène renvoie aux orties.
Or les rapports de Bartolo et de sa pupille, une Rosine joliment délurée, Olga Kulchynska, la voix agile, un peu trop puissante pour sa jeunesse, l’emprisonnement de la jeune fille, les ruses de Figaro, excellent Massimo Cavalletti, l’obséquiosité d’un Basilio grand et beau, Nicolas Testé lui aussi pénétré de son rôle, ces situations n’ont plus cours et ne gagnent rien à se jouer dans des tenues dépareillées au prétexte fallacieux d’être actualisées.
Et pourquoi la malheureuse Berta, Julie Boulianne, dont les interventions vocales sont comme toutes celles de cette distribution justes et personnalisées, doit-elle se gratter aussi longtemps et laidement sur le devant de la scène à la fin du I ? Qu’une moto remplace l’auto quand Almaviva emmène sa femme à la fin du II n’étonne plus personne. Qu’un décor tournant présente l’envers sur l’endroit comme au temps de Grand Papa rappelle le bon vieux temps !
Reste la vitalité des interprètes dans ce décor perpétuellement en mouvement. Demi-tour de la façade, intérieur surchargé des pièces sur trois étages, escaliers extérieur à gauche, intérieur à droite : à nos jeunes chanteurs-acteurs de les grimper, de les dévaler, d’y fuir, d’en surgir. Ils le font si bien, avec tant de naturel physique et vocal, qu’on en oublie toute réserve quant au bien-fondé du délire qui s’ensuit. Et le décor tourne et se retourne, de plus en plus souvent, de plus en plus vite, devient maître du jeu, des rebondissements.
Déchaînement musical et théâtral vont de pair, réussissent enfin leur mariage, quiproquos et bouffonnerie surenchérissent comme la partition le commande, le public s’amuse, Rossini s’amuse et Beaumarchais aussi, après tout de nos jours encore la situation des femmes demeure critique face à l’homme de pouvoir – du moins c’est ce que certaines prétendent avant de se libérer, vêtues de cuir, grâce à l’homme qu’elles ont choisi. Mais à chacun son opinion, comme devant ce foisonnant et brillant spectacle gentiment daté.
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