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CRITIQUES DE CONCERTS |
04 octobre 2024 |
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Reprise du Château de Barbe-bleue de Bartók et de la Voix humaine de Poulenc dans la mise en scène de Krzysztof Warlikowski, sous la direction d’Ingo Metzmacher à l’Opéra de Paris.
Femmes Ă plaindre
Cet enchaînement de Bartók et Poulenc au prétexte que leurs héroïnes sont des femmes malheureuses se confirme des plus discutables. Si la mise en scène de Krzysztof Warlikowski uniformise un climat sinistre et la beauté musicale des œuvres en triomphe sous la direction d’Ingo Metzmacher, les librettistes imposent des caractères aux antipodes.
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Le seul point commun des deux opéras pourrait être le rapport dramatique de deux femmes avec leur homme, Judith, la première, avec celui qu’elle a suivi dans son sombre château, mystérieux mais puissant Barbe-bleue à la réputation sulfureuse, la seconde, Elle, avec une abstraction au bout de sa ligne téléphonique. Cet assemblage tiendrait presque du sexisme ! Un récit unique du Château de Barbe-Bleue et de la Voix humaine ne valorise ni n’articule la différence des situations et des caractères. Où se niche le même inconscient féminin revendiqué par le metteur en scène ?
L’incompréhension et la solitude vécues sous nos yeux par ces femmes se confirment incomparables au cours d’une représentation où seul a changé le directeur musical de la création de cette union des contraires. Après Esa-Pekka Salonen, Ingo Metzmacher pourrait noircir plus intensément la partition de Bartók, exaspérer le lyrisme sous-jacent aux passions qui s’affrontent dans les admirables dialogues écrits par Béla Balà zs en pleine entente avec le compositeur. De ce « premier ouvrage sur la scène de l’opéra hongrois, dans lequel le chant résonne d’un bout à l’autre avec des accents hongrois homogènes et sans accrocs », a écrit Kodály, l’angoisse pourrait mieux habiter l’orchestre et les voix. La tension n’est pas à la hauteur de l’extase et du déchirement qui progressent vers l’abîme tentateur dans la sombre demeure où les murs pleurent.
Elle ne l’est pas non plus à celle de l’autorité du Duc Barbe-bleue, un John Relyea, belle allure et basse profonde, du genre soumis face à l’autorité de sa jeune épouse, allant jusqu’à s’agenouiller et supplier une Ekaterina Gubanova curieuse et entêtée qu’aucune mise en garde de son maître et seigneur apparemment ne trouble. La voix projette parfaitement ses phrasés, le jeu physique l’accompagne avec la même justesse formelle cependant que, face à sa décision, John Relyea change peu à peu d’attitude et densifie ses alertes. C’est lui, l’homme impuissant face à l’obstination féminine, qui maintenant témoigne de son irrémédiable solitude quand Judith, son dernier espoir, rejoint celles qui l’ont précédée bien qu’il les ait tant aimées.
C’est de cette solitude masculine, et non de celle de Judith enfermée avec trois autres femmes, qu’Elle prend la suite dans la Voix humaine. Là aussi, même interprète qu’à la création. Barbara Hanigan a fait sien l’interminable monologue dont Cocteau était si fier. Grâce à elle, à la droiture de son phrasé, net, sensible sans jamais sombrer dans une expressivité morbide, à la précision de ses attitudes, grâce à la musique de Poulenc pour les structurer et intéresser notre écoute aux courtes phrases, hachées, ponctuées de points d’orgue, on supporte les plaintes de cette femme abandonnée que nul homme censé n’irait retrouver. Pleurs de femme après pleurs de murs pourraient être une meilleure raison de la juxtaposition des œuvres présentées que le petit nombre d’êtres humains sur scène et le malheur des femmes !
N’unifient en rien les fins tragiques les vidéos sans portée de Denis Guéguin, les cages de verre qui sortent des parois à chaque porte ouverte du château de Barbe-bleue sans que rien de leur contenu n’intéresse le regard et reviennent, vides, à la fin de la Voix humaine pour qu’un acteur en sang y titube avant de retrouver Elle dans sa chambre un revolver à la main. Mort des deux. Paix à leur âme.
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