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CRITIQUES DE CONCERTS |
10 octobre 2024 |
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Nouvelle production des Bassarides de Henze dans une mise en scène de Krzysztof Warlikowski et sous la direction de Kent Nagano au festival de Salzbourg 2018.
Salzbourg 2018 (6) :
Les 120 journées de Dionysos
Météo d’apocalypse pour accueillir le retour sur leurs terres de création des Bassarides de Hans Werner Henze, absentes de Salzbourg depuis 1966. Kent Nagano et une excellente distribution dominent la version anglaise de l’ouvrage, transcendée par un Krzysztof Warlikowski sur les sommets, enserrant la tragédie d’Euripide dans l’univers pasolinien.
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C’est bien connu, à Salzbourg, dix jours de soleil consécutifs se soldent toujours par un orage monumental comme celui qui frappe ce soir au moment de gagner le quartier du festival, sous un tonnerre de grêle et un déluge de pluie annonçant la couleur d’un opéra aussi apocalyptique que les Bassarides de Hans Werner Henze (1926-2012).
L’ouvrage, au livret de Wystan Hugh Auden et Chester Kallman (duo gagnant du Rake’s Progress de Stravinski) basé sur les Bacchantes d’Euripide, et qui n’avait plus été donné in loco depuis sa création mondiale en 1966 au Grosses Festspielhaus, revient à la Felsenreitschule sous l’impulsion du nouveau directeur Markus Hinterhäuser.
C’est la version en langue anglaise, celle du livret d’origine, avec son court prologue, qui a été choisie, plutôt que l’allemand de la création, peut-être plus glauque, pour cette histoire familiale sordide où Dionysos, qui cherche à venger sa défunte mère Sémélé, provoque la chute de Thèbes et la mort de son roi Penthée.
Expurgeant toute référence à l’antique, Warlikowski a fait le choix judicieux de camper cette ambiance délétère dans l’univers de Pasolini, et notamment certaines scènes du très controversé Salò ou les 120 journées de Sodome : le jeune couple en sous-vêtements mené à un autel factice, devant la châsse de Sémélé, et surtout la scène d’humiliation avec les éphèbes à quatre pattes, promenés en laisse, pendant l’Intermezzo à caractère sexuel autour du Procès de Calliope.
Le mélange de pouvoir et de stupre, d’autorité et de décadence du livret y trouve un terrain d’accomplissement majeur. Le Polonais rappelle aussi avec Dionysos le sujet de Théorème, où l’arrivée d’un jeune homme dans un cercle fermé révélait les névroses de tous les membres de la famille, ici d’une cour de Thèbes à l’agonie, où un Penthée fragile, caché dans son armoire, devient pathétique de faiblesse en travesti.
On pense enfin à Médée avec cette Agavé qui décapite elle-même le roi, son propre fils, dont elle cache la tête sous sa robe, comme pour en accoucher une seconde fois, sommet de noirceur infanticide. Warlikowski sait en outre occuper toute la largeur de scène du Manège des rochers avec une vue en coupe des appartements royaux, et terminer par l’image déchirante de Dionysos arrachant sa mère à son cercueil de plexiglas, inconsolable orphelin assoiffé de vengeance.
Le plateau est d’excellente tenue, avec une mention spéciale ténors, tant pour le Dionysos extrêmement séduisant de l’Américain d’origine sri lankaise Sean Panikkar, voix au rayonnement illimité, que pour le Tirésias de Nikolaï Schukoff, double du précédent plus que le ténor de caractère de la tradition, convaincant dans son ardeur à défendre le culte du jeune dieu.
Même élimé, le timbre de Willard White confère une autorité patriarcale à Cadmus, tandis que le Penthée de Russell Braun n’est que métal, franchise d’émission et carrure morale. On sera plus réservé sur l’Agavé très investie en scène mais vocalement lâche de Tanja Ariane Baumgartner, pour saluer la présence de Vera-Lotte Böcker en Autonoe piquante comme un hérisson, loin du soprano léger attendu.
En fosse, expert et authentique maître à bord, Kent Nagano distille au long de ces deux heures trente un sentiment d’évidence dans le langage âpre mais très contrasté de Henze, adoucissant les contours de l’univers de Penthée, d’une couleur de diamant noir plus que de sépulcre, pour dire en quelque sorte sa perméabilité aux moirures dionysiaques, servies par des chœurs merveilleusement contrastés et une Philharmonie de Vienne à son summum de raffinement.
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