|
|
CRITIQUES DE CONCERTS |
10 décembre 2024 |
|
Concert du Boston Symphony Orchestra sous la direction d’Andris Nelsons, avec la participation de la violoniste Baiba Skride au festival de Lucerne 2018.
Lucerne 2018 (1) :
Haute voltige
La veille d’une Troisième de Mahler très attendue, Andris Nelsons et le Boston Symphony présentaient un copieux programme Bernstein-Chostakovitch au bord du Lac des Quatre-Cantons. Exécution d’une parfaite virtuosité et de haute voltige, notamment dans une Quatrième Symphonie de Chostakovitch aux rouages parfaitement huilés, qui prend corps progressivement.
|
Konzertsaal, Kultur- und Kongresszentrum, Luzern
Le 12/09/2018
Yannick MILLON
|
|
|
|
Le renoncement de Barbe-Bleue
Frénésie de la danse
Clavecin itératif
[ Tous les concerts ]
|
Peu évident sur le papier, le rapprochement entre Leonard Bernstein et Dmitri Chostakovitch opéré par le Boston Symphony et Andris Nelsons à Lucerne s’avère judicieux s’agissant des pièces choisies. Notamment car la Sérénade du chef-compositeur américain reste l’une de ses œuvres les plus unitaires dans ses sources d’inspiration sonore, au langage souvent peu éloigné de Chostakovitch, ou mieux encore de Britten, facilitant un pont avec la deuxième partie.
Concerto pour violon en cinq mouvements, basé sur le Banquet de Platon et dont chaque partie évoque un dialogue retranscrit par le philosophe grec, la pièce ne cède qu’au cours de son dernier mouvement (Socrate-Alcibiade) à certaines facilités et répétitions. Car de son scherzo extrêmement court (Eryximaque) à un Adagio douloureux et inspiré (Agathon), en passant par le climat doux-amer d’Aristophane, un langage contrasté, richement expressif, traversé des bouffées d’angoisses typiques du Bernstein symphonique, sait en permanence capter l’attention.
Plutôt qu’une exécution anguleuse et physique, Nelsons cherche les contrastes et une détente hérissée de gestes fulgurants, dans un contexte parfois alangui (les cordes, rarement électriques), très en phase avec le violon solo de la jeune lettone Baiba Skride, presque émacié de sonorité mais au vibrato toujours vivant, privilégiant la qualité à la quantité, loin des archets torrentiels remplissant une salle à eux seuls, plus dans l’esprit symphonie avec violon obbligato que vraiment concertant.
Après l’entracte, le patron depuis 2014 du BSO, avec lequel il est en train de graver une intégrale des symphonies de Chostakovitch, propose une approche nerveuse (le tempo de l’entrée en matière) mais essentiellement instrumentale de la Quatrième (1936), pavé de soixante-dix minutes parmi les plus assumés du compositeur, qui risquait la mise à l’index pour son contenu guère en phase avec la ligne du Ministère de la culture d’URSS et dut attendre sa création vingt-cinq ans.
On imaginait le Chostakovitch de Nelsons dans la lignée postromantique, notamment dans cette œuvre qui regorge de citations mahlériennes, mais le chef dégraisse les contours de l’orchestration, laissant libre cours aux nuances tonitruantes d’un Boston Symphony qu’on qualifiait pourtant naguère de « plus européen des orchestres américains ». Surtout, dans une musique au contenu expressif considérable, la battue étonne par son objectivité tout au long d’un premier mouvement en impeccable mécanique sonore où l’émotion n’est pas la priorité, malgré la qualité des solos de basson (somptueux) ou de cor anglais (aussi musical que fragile).
Un climat plus intense s’installe dans le Moderato central, par le truchement des mixtures de timbres d’une coda faisant la part belle à la petite percussion et davantage encore à des harpes cliquetant aux frontières du silence. Mais c’est dans le troisième mouvement, vaste bloc d’une demi-heure, que la mayonnaise prendra le plus, tant dans les déflagrations aux limites des capacités d’encaissement du KKL (avec des cordes enfin en acier trempé), que dans une coda lentissime et pétrifiante où raclements livides de contrebasses et célesta lunaire préparent au mieux l’entrée de la trompette du vétéran Thomas Rolfs, qui avale une lampée d’eau avant d’emboucher son instrument pour un ultime solo aux redoutables tenues, magistralement exécuté.
| | |
|
Konzertsaal, Kultur- und Kongresszentrum, Luzern Le 12/09/2018 Yannick MILLON |
| | |
| | |
|