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CRITIQUES DE CONCERTS |
09 septembre 2024 |
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On doit rendre hommage à la qualité du plateau qui sauve une mise en scène (remontée par Stephen Taylor) à la fois banale et engluée dans les conventions. La Force du destin n'est pas le Verdi qui brille le plus par la limpidité de son intrigue et la netteté des caractères. L'œuvre a été rarement donnée à l'Opéra de Paris – seulement deux productions en plus de quarante ans.
Le caractère disparate du livret ne permet pas de distinguer entre mélodrame, scènes bouffes et tragédie lyrique… sans compter les incohérences qui n'aident pas vraiment à prendre au sérieux une intrigue démarrant sur le meurtre accidentel d'un père par un héros amoureux de sa fille et le frère qui prolonge la malédiction paternelle en poursuivant le meurtrier durant trois actes.
Le décor d'Alain Chambon se borne à une pente inclinée dont l'encombrement relatif signale une volonté d'abstraction que ne meuble pas vraiment une direction d'acteur à l'étiage, habilement escamotée par les subtils éclairages de Laurent Castaingt. Pour le reste, on devra se contenter de ficelles et de trouvailles telles que le début in medias res, rideau levé, et l'ouverture jouée après la scène initiale.
Les convives semblent y partager un dernier repas, idée surlignée par un immense Christ en croix qui plane peu après sur la scène comme la matérialisation d'un destin aussi céleste que fatal. Pour l'heure, le coup de feu involontaire qui tue le père de Leonora manque surtout de faire rire et les chanteurs sont abandonnés en scène, avec comme option binaire les bras ouverts ou fermés.
Les scènes de groupe réussissent à exister dans la vaste nef de Bastille, ce qui n'est pas peu considérant l'économie et la convention du langage scénique utilisé ici : un drapeau qu'on agite, un mouvement de jardin à cour pour signifier la victoire des troupes de Garibaldi sur les Autrichiens. Le réalisme des détails puise dans une imitation de Visconti sur lequel on jette le voile pudique d'un écrin abstrait, avec de larges toiles peintes en fond de scène. L'affrontement final perd en intensité et repose essentiellement sur les performances vocales des protagonistes.
Le public est heureusement comblé de ce côté-là , à commencer par une Anja Harteros des grands soirs, qui donne à entendre une ligne infiniment travaillée, portée par une émission et des couleurs d'une intensité extraordinaire. L'incarnation trouve ici une interprète capable de donner au terme tout son sens. Brian Jagde réussit ses débuts à l’Opéra de Paris avec un Don Alvaro parfaitement projeté et tenu, et un vibrato toujours très concentré sur le phrasé et la précision du texte.
Željko Lučić ne cherche pas à noyer son Carlo di Vargas sous les effets superflus que la mise en scène lui aurait pourtant autorisés. La voix est intense et déployée sans ambages, depuis le registre grave jusqu'aux aigus véhéments. La Preziosilla de Varduhi Abrahamyan s'embarrasse de moins de scrupules et donne dans le grand numéro de la bohémienne au grand cœur. Le pétulant Fra Melitone est tenu par Gabriele Viviani, volontiers cabotin mais pour la bonne cause. Rafal Siwek est un Padre Guardiano sonore et bien chantant, tout comme le Marquis de Calatrava de Carlo Cigni.
À la fête également, l’Orchestre de l’Opéra de Paris dirigé par le vigoureux et sanguin Nicola Luisotti. La pâte sonore est en adéquation avec les scènes les plus dramatiques et les plus expressives malgré certains décalages entre la fosse, les solistes et le chœur – la prix à payer pour cet engagement et cette fougue.
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Opéra Bastille, Paris Le 13/06/2019 David VERDIER |
| Reprise de La Force du destin de Verdi dans la mise en scène de Jean-Claude Auvray, sous la direction de Nicola Luisotti à l’Opéra de Paris. | Giuseppe Verdi (1813-1901)
La Forza del destino, melodramma en quatre actes (1862)
Livret de Francesco Maria Piave
Chœur et Orchestre de l’Opéra national de Paris
direction : Nicola Luisotti
mise en scène : Jean-Claude Auvray
décors : Alain Chambon
costumes : Maria Chiara Donata
Ă©clairages : Laurent Castaingt
préparation des chœurs : José Luis Basso
Avec :
Carlo Cigni (Il Marchese di Calatrava), Anja Harteros (Donna Leonora), Željko Lučić (Don Carlo di Vargas), Brian Jagde (Don Alvaro), Varduhi Abrahamyan (Preziosilla), Rafal Siwek (Padre Guardiano), Gabriele Viviani (Fra Melitone), Majdouline Zerari (Curra), Lucio Prete (un Alcade), Rodolphe Briand (Mastro Trabuco), Laurent Laberdesque (Un Chirurgo). | |
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