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CRITIQUES DE CONCERTS |
10 décembre 2024 |
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Liederabend du baryton Gerald Finley accompagné au piano par Julius Drake au festival de Salzbourg 2021.
Salzbourg 2021 (3) :
Faut-il jouer moins fort ?
Programme finement agencé autour du Chant du cygne pour un Liederabend de Gerald Finley et Julius Drake trop somptueux, trop chanté, où la raréfaction du matériau du dernier Schubert bute sur la richesse des moyens engagés, et notamment sur un piano de glaise, poseur et confus. L’occasion ou jamais de méditer la fameuse question de Gerald Moore.
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Concevoir le Lied comme un art des grands moyens reste à nos yeux un contresens, et surtout Schubert, qui écrivit ses six cents mélodies pour l’intimité du foyer, d’une taverne, à l’opposé de la grande salle de concert moderne. On imaginait d’autant plus difficile de céder aux sirènes de la quantité que le Mozarteum de Salzbourg est idéalement taillé pour le murmure.
Lire, relire et méditer les mémoires du plus génial accompagnateur du XXe siècle, Gerald Moore, dont l’ouvrage porte un titre interrogateur : Faut-il jouer moins fort ? Le choix de la salle du conservatoire plutôt que la Haus für Mozart allait bien dans ce sens, mais l’habitude prise par Gerald Finley de devoir constamment nourrir son étoffe vocale (tout Liedersänger n’a pas Hans Sachs à son répertoire) torpille ici l’atmosphère ascétique et pré-expressionniste du dernier Schubert.
Soyons clairs, le baryton canadien, artiste intelligent, n’a jamais démérité pendant ces deux heures de récital. La richesse du timbre, la beauté des aigus, l’égalité des registres et le legato en témoignent. Et pourtant, même si les nuances sont physiquement là , il manque à chaque seconde l’intériorité, la déclamation limpide – on attrape seulement quelques mots au vol dans les poèmes de Rellstab, davantage dans la lenteur dépouillée des Heine. La mariée est donc sublime, mais on décroche très vite devant cette vocalité univoque et monotone.
D’autant que l’accompagnement de Julius Drake est primaire, épais (bienheureux qui comprendra les ondulations boueuses de Liebesbotschaft ou Die Taubenpost), chichiteux dans sa manière d’attaquer les pièces dans les bruits de salle puis de laisser résonner excessivement chaque dernier accord, pour ne rien dire des accents parfois outranciers ou du rubato tordu qui affectent Aufenthalt, Abschied, Der Atlas ou Der Doppelgänger.
Avant le Schwanengesang, scindé en deux par l’entracte au moment du changement de poète et terminé par la Taubenpost, ultime Lied du compositeur, le programme débutait avec une remarquable intelligence par trois autres Lieder de 1828 : Bei dir allein, Herbst, et Der Winterabend, bijou trop rare où déjà le programme de salle était nécessaire pour reconstituer des lacunes d’intelligibilité fatales dans le Lied.
Les bis ne font que renforcer le malaise, avec deux extraits des Dichterliebe de Schumann (n° 12 puis 11) qui n’ont de sens isolés – Ein Jüngling liebt ein Mädchen n’est ici que joyeux, dépourvu de toute l’amertume empoisonnée de Heine, et souffre de doigts de plomb –, et comble de maladresse, la dernière des Songs of Travel de Vaughan-Williams, en anglais donc, qui sonne incongru après Schubert et Schumann, juste parce que cela faisait plaisir aux artistes de se remémorer leur premier récital in loco. Fin des illusions…
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Mozarteum, Salzburg Le 16/08/2021 Yannick MILLON |
| Liederabend du baryton Gerald Finley accompagné au piano par Julius Drake au festival de Salzbourg 2021. | Franz Schubert (1797-1828)
Bei dir allein
Herbst
Der Winterabend
Schwanengesang
Gerald Finley, baryton
Julius Drake, piano | |
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