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CRITIQUES DE CONCERTS |
12 octobre 2024 |
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Nouvelle production d’Eugène Onéguine de Tchaïkovski dans une mise en scène de Stéphane Braunschweig et sous la direction de Karina Canellakis au Théâtre des Champs-Élysées, Paris.
Gazon maudit
Dans une nouvelle mise en scène efficace mais déjà datée, l’Eugène Onéguine présenté au Théâtre des Champs-Élysées est affaibli par la direction maladroite de la cheffe Karina Canellakis. Laissée à elle-même, la distribution, inégale, présente le rôle-titre très sanguin de Jean-Sébastien Bou face au magnifique Lenski de Jean-François Borras.
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Aimez-vous le gazon synthétique ? Un récent article de presse sur la vogue de ce produit vantait les progrès réalisés par les fabricants. Sans doute, Stéphane Braunschweig a-t-il été économe car celui choisi pour sa mise en scène d’Eugène Onéguine est d’une laideur insigne. Dès le I, une série de chaises trahit une grammaire inchangée depuis les années 2000. Elles cadrent les scènes collectives et les apartés avec une lisibilité toute classique. Des costumes d’époque dans une lumière soignée parachèvent le tableau. On comprend moins les danses amorphes des paysans en contradiction avec la musique.
Une sorte de tiny house sort de terre – enfin, du gazon –, pour figurer la chambre de Tatiana, monde étriqué pour les rêves d’amour de la jeune fille. Le bal est lui aussi vu comme gris et petit, impression gâchée par la persistance de l’herbe maudite. Toujours est-il que Braunschweig, en homme de théâtre accompli, sait gérer les déplacements pour rendre sensibles les limites, la cruauté de cette société provinciale. Au III, le second bal délesté du tapis vert commence par une scène de tripot dans des costumes contemporains. Onéguine resté en habit d’époque est plus que perdu dans ce monde qui a achevé sa décadence et enseveli les rêves de Tatiana.
Cette lecture plutôt cohérente du drame se trouve très affaiblie par la direction maladroite de Karina Canellakis, sans énergie au I, bâtonné comme une séance de filage, clôturant les fins de phrase quand l’écriture commande une fluidité laissant place aux journées sans fin de l’été et aux rêves les plus fous. Les deux actes suivants ne sont pas aussi catastrophiques, mais l’Orchestre national de France reste tantôt bridé tantôt poussé à la précipitation sans trouver une respiration qui devrait suivre les mouvements du cœur. C’est heureusement moins le cas pour le Chœur de l’Opéra de Bordeaux qui trouve sa place avec beaucoup de caractère. La cheffe américaine laisse encore plus d’espace aux chanteurs, qu’elle suit au lieu de les accompagner.
Les inégalités de la distribution en ressortent davantage. La Tatiana de Gelena Gaskarova sent la routine à plein nez. Les limites de la voix ne permettent pas de dépasser l’adolescente introvertie, alors que la production voulait la replacer au centre de l’opéra. Face à elle, Jean-Sébastien Bou, à l’aise avec la langue, déploie une présence vocale pas toujours calibrée, expansive, surprenante pour ce personnage qui ne devrait pas apparaître émotif de prime abord. À la campagne, l’Olga d’Alisa Kolosova déploie un alto très séduisant, encadré par des comparses plus ou moins pittoresques.
À Saint-Pétersbourg, le prince Grémine de Jean Teitgen ne peut rivaliser avec le creux abyssal des Russes, mais son air déploie un lyrisme chaleureux parfaitement en situation. C’est l’inattendu Lenski de Jean-François Borras qui marquera la soirée. S’il n’est peut-être pas le poète romantique habituel, le ténor chante d’une voix dont le naturel exceptionnel transcende les interventions faisant du deuxième tableau du II un superbe moment d’opéra.
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Théâtre des Champs-Élysées, Paris Le 10/11/2021 Thomas DESCHAMPS |
| Nouvelle production d’Eugène Onéguine de Tchaïkovski dans une mise en scène de Stéphane Braunschweig et sous la direction de Karina Canellakis au Théâtre des Champs-Élysées, Paris. | Piotr Ilitch Tchaïkovski (1840-1893)
Eugène Onéguine, opéra en trois actes (1879)
Livret du compositeur et de Constantin Chilovski d’après Pouchkine
Chœur de l’Opéra national de Bordeaux
Orchestre national de France
direction : Karina Canellakis
mise en scène et scénographie : Stéphane Braunschweig
chorégraphie : Marion Lévy
costumes : Thibault Vancraenenbroeck
Ă©clairages : Marion Hewlett
Avec :
Jean-Sébastien Bou (Eugène Onéguine), Gelena Gaskarova (Tatiana), Alisa Kolosova (Olga),
Jean-François Borras (Vladimir Lenski), Jean Teitgen (Prince Grémine), Delphine Haidan (Filippievna), Mireille Delunsch (Madame Larina), Yuri Kissin (le Capitaine, Zaretki), Marcel Beekman (Monsieur Triquet), Stanislas Siwiorek (Monsieur Guillot). | |
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